Encore marginale, la massothérapie gagne en popularité dans les hôpitaux. Pour les patients aux soins palliatifs, ce traitement qui oppose la douceur à la douleur, le contact à la solitude, peut faire toute la différence.

Hospitalisée depuis quatre semaines pour des problèmes respiratoires, Madeleine*, 97 ans, est entourée de sa fille, Nicole, et de sa massothérapeute, Marie-Danielle Boucher.

En ce soir froid et pluvieux de novembre, à l'hôpital de Verdun, la nuit est tombée depuis longtemps, et les petites chambres sont presque plongées dans l'obscurité. Alitée, Madeleine esquisse un sourire quand Marie-Danielle la prend dans ses bras. La veille, elle s'est sentie partir. Ses jambes, si frêles, et ses pieds étaient devenus froids.

«J'ai eu 10 enfants, je peux bien avoir le coeur usé», murmure-t-elle.

Douceur

Mais depuis le passage de Marie-Danielle, elle va mieux.

Après l'étreinte, la massothérapeute, qui suit Madeleine depuis sept ans, entame son rituel. Doucement, avec de l'huile de fleur d'oranger, elle lui masse les jambes, puis le dos. Le massage dure une vingtaine de minutes.

«Ma mère a des problèmes de respiration, mais quand Marie-Danielle la masse, c'est spécial, dit Nicole, couvant sa mère du regard. Je le souhaite à tout le monde. Si c'est bon pour elle, c'est bon pour toute la famille.»

Depuis qu'elle pratique la massothérapie, Marie-Danielle Boucher a accompagné plusieurs personnes dans la maladie et, parfois, la mort. Elle croit que ce contact physique est précieux.

«Une personne qui souffre pendant l'agonie, c'est doublement difficile: pour elle et pour sa famille, estime-t-elle. Ce qui manque, en fin de vie, c'est de sentir qu'il y a quelqu'un qui nous aime, qui nous écoute, qui nous respecte et qui ne nous diminue pas. C'est terrible, quand on est un adulte complet, de se retrouver avec un corps traité comme celui d'un bébé.»

Hôpitaux

Plusieurs hôpitaux offrent la massothérapie à leurs patients en oncologie ou aux soins palliatifs. Cette approche, que l'association Leucan a mise en oeuvre dans les années 80 pour les enfants atteints de cancer, a commencé tranquillement à s'étendre aux adultes au début des années 2000.

C'est le cas notamment à l'hôpital Notre-Dame et à l'Hôpital général juif, à Montréal, et aussi à l'hôpital Charles-Le Moyne, sur la Rive-Sud, où les services d'une massothérapeute sont offerts depuis 2002 en cancérologie, et depuis 2005 aux soins palliatifs. Le service de massothérapie est financé par la fondation de l'hôpital Charles-Le Moyne.

Bien-être

Linda McDuff est infirmière et massothérapeute dans cet hôpital. «Comme infirmière, j'ai travaillé beaucoup aux urgences et en périnatalité. Je suis dans les extrêmes, avec les soins palliatifs. C'est mon choix. La naissance, c'est beau parce qu'on sait ce qui s'en vient. La mort, on ne sait pas. Mais moi, j'accompagne la personne mourante de la même façon que l'équipe qui accompagne la mère en salle d'accouchement. Une fois, une cliente m'a dit: «Si la mort ressemble à un massage, je n'ai plus peur.» Ça donne déjà un sens, ça aide à calmer l'angoisse.»

Linda McDuff croit que le massage en soins palliatifs doit être fait tout en douceur et permettre à la personne d'oublier qu'elle est hospitalisée. «C'est une zone de confort. Les patients sont surpris de voir l'état dans lequel ils sont», dit-elle.

Les membres de la famille peuvent aussi trouver un certain soulagement dans ce massage. Pour la massothérapeute, c'est aussi un moment particulier, au cours duquel la famille, qui forme un cocon dans les derniers moments, laisse entrer une autre personne.

Un besoin grandissant

Si la massothérapie était l'objet de certains préjugés il y a quelques décennies à peine, le public et la communauté scientifique lui sont de plus en plus ouverts dans un contexte de soins, et non plus seulement de détente ou de bien-être. Certes, les personnes plus âgées connaissent moins la massothérapie, mais le besoin est là.

«Ça va se développer, surtout avec le vieillissement des gens qui sont en ce moment utilisateurs de soins», estime Martin Vallée, président-directeur général de l'Association des massothérapeutes spécialisés du Québec, qui revendique près de 6000 membres.

Offerte en milieu hospitalier grâce au financement des fondations, la massothérapie, en pratique privée, n'est toutefois pas accessible à tous. Martin Boisjoly a son cabinet de massothérapie à Lavaltrie. Il a offert des massages à la maison Adhémar-Dion, un centre de soins palliatifs.

«Masser des gens en fin de vie amène une tout autre dynamique. Il faut établir une relation, une écoute active. Certaines personnes ont de la famille, d'autres sont seules. Mais pour tous, le toucher est le premier sens que l'on développe à la naissance. Et quand on s'en va, le massage peut être le dernier toucher. Ce genre de massage n'est pas pour tout le monde, mais ça rend la relation de travail très humaine.»

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Traitement contre le cancer: arracher son corps à la douleur

En oncologie, la massothérapie permet d'apporter un répit au patient qui reçoit un traitement contre le cancer. «Cela permet de se réapproprier son corps en dehors de la douleur», dit Sylvie Bédard, présidente générale de la Fondation québécoise des massothérapeutes agréés (FQM).

La FQM a créé en 2010 la Fondation québécoise des massothérapeutes pour offrir une heure de massothérapie aux personnes atteintes de cancer, en partenariat avec l'organisme Coalition Priorité cancer.

Selon Martine Rancourt, massothérapeute et membre de la FQM, non seulement le massage diminue le stress et l'anxiété, mais il améliore le système immunitaire. «Quand on me dit après un massage: "C'est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis le diagnostic", ça fait ma paie», dit-elle.

Mais dans un contexte de traitement comme dans le cas de douleurs chroniques, de nombreuses précautions sont à prendre. La FQM, qui compte près de 5500 membres, milite ardemment pour la création d'un ordre professionnel. Au Québec, les formations de massothérapie sont nombreuses, mais elles n'ont pas toutes les mêmes exigences, ce qui peut devenir problématique, voire dangereux, dans un contexte de soins, selon Mme Bédard.

«Pour nous, 15 heures de formation en oncologie, ou même 30 heures, ce n'est rien. On est très prudents, et on informe beaucoup nos membres sur les formations que l'on reconnaît, dans 17 écoles», explique-t-elle. Cette crédibilité est selon elle nécessaire pour que la massothérapie puisse mériter véritablement sa place dans les soins médicaux.

La massothérapie n'est pas couverte par la CSST ou la SAAQ.

«Les hôpitaux sont de plus en plus ouverts à nous accepter, mais on est au bout de la chaîne: ce n'est pas évident, dit Mme Bédard. On veut faire notre place dans les soins médicaux, mais il y a beaucoup de travail à faire pour que le système s'ouvre davantage à la massothérapie.»

*Madeleine a accepté de nous parler et d'être photographiée, à la condition que son vrai nom ne soit pas écrit.