Il est 7 h 30. Dans le couloir coloré, la lumière tamisée et les pas feutrés font place à un léger brouhaha. Tandis que le personnel de jour prend la relève de l'équipe de nuit, on entend ici et là des râlements, des petits cris. Derrière les portes de chambre entrouvertes, les enfants se réveillent doucement.

Assise dans son lit à barreaux, Amy*, âgée de 8 ans, s'impatiente. Elle donne des coups et crie à la manière d'un bébé. «On arrive, ma chérie», lance Sylvie Deslauriers, infirmière auxiliaire, du couloir. Amy a le spina-bifida, elle est sous dialyse plus de 10 heures par jour. Elle a aussi une déficience intellectuelle. À l'aide d'un stagiaire, Sylvie la transfère dans son fauteuil roulant. Les coups de pied fusent. «Elle a un petit caractère, elle manipule facilement sa deuxième mère, hein ma cocotte?», dit-elle. Elle installe son cathéter pour son premier médicament de la journée, avant le gavage. «Je dois me placer derrière elle, sinon elle tire sur les fils.»

La routine matinale, au-delà d'une enfilade de gestes machinaux, est un moment privilégié. «On chouchoute ces enfants comme s'ils étaient les nôtres, confie Stéphane Genest, préposé aux bénéficiaires depuis 24 ans. On ne voit même plus leurs handicaps. Certains stagiaires arrivent ici et ils virent de bord en larmes. Il faut aimer ça.»

Il a donné le bain à Ashna, 12 ans. «C'est toujours compliqué, elle se raidit dès qu'on la touche. On y va en douceur», dit-il. En l'installant dans son fauteuil, il force avec une expression exagérée. Ashna rit à tout coup. «Elle est l'fun, je l'aime bien. Ce sont ces petits moments qui font que je suis toujours là.»

Infirmière auxiliaire, Mélissa Forget prend la relève. Elle brosse les cheveux d'Ashna. «Les gens ne sont jamais en contact avec ces enfants, les préjugés persistent. Quand je vois un air de dégoût, ça me blesse. Ils sont différents, mais ils sont tous beaux, uniques.» Elle vaporise un peu de parfum vers Ashna. «Tu es très belle et tu sens bon, ma cocotte. Prête pour la zoothérapie?» Sylvain et ses deux chiens se trouvent déjà dans la salle de loisir.

Dans le couloir, Stéphanie Gallant court. Elle est infirmière. Elle entre dans une chambre où une équipe s'active. Le petit Paulo est en détresse respiratoire. Il faut faire vite. Un médecin est sur place et réussit à le réanimer. «On a failli le perdre», annonce une préposée aux employés inquiets. On le transfère à l'hôpital.

Les urgences sont fréquentes ici. Les petits pensionnaires sont très fragiles. Depuis le mois de février, il y a eu sept décès. Lorsqu'un enfant est en fin de vie, on accroche un petit ange à sa porte. Le personnel, comme une grande famille, ne s'habitue jamais. «Lors de ces moments, il y a une grande solidarité entre nous, dit Nancy Dorais, éducatrice spécialisée. C'est difficile, on soutient les parents. Ils nous disent que leur enfant a passé ici les plus beaux moments de sa vie.»

La vie suit son cours. Dans la salle de loisir, la massothérapeute Sylvie Jacquemot caresse les cheveux de Charles-Élie, très spastique. Elle lui masse la nuque. «Je vais faire des câlins dans ton dos», lui chuchote-t-elle. Assis sur ses genoux, le petit semble apaisé. Elle lui fredonne une chanson. «Le massage est un outil de communication non verbale extraordinaire. J'entre en contact avec ces enfants, c'est très intime. Je leur montre que leur corps, qui les lâche au fil du temps, peut aussi leur offrir des sensations agréables. Pour ceux qui réussissent à communiquer, c'est souvent l'unique possibilité de refuser quelque chose, d'avoir un certain pouvoir.»

Les enfants sont occupés: massothérapie, zoothérapie, piscine, théâtre de marionnettes, peinture et bricolage. Stéphane Genest salue ces initiatives. Depuis son arrivée, ça a bien changé. «Avant, ils cachaient ces enfants lors des visites de l'établissement. Ils les appelaient «les gavés». Ils les traitaient bien, mais ils étaient plutôt laissés à eux-mêmes.»

Dans la salle «petite école», Nancy Dorais est assise sur un matelas au sol. Elle manipule les jambes de Juan, 2 ans, selon les instructions de la physiothérapeute. Le regard vide, il fait quelques vocalises en bavant. Elle l'encourage. «On ne sait pas à quel point ils comprennent. On explore beaucoup afin de favoriser l'éveil sensoriel, selon le potentiel de chacun, l'intérêt du moment.» Dans la même pièce, Julie Beaudoin, enseignante en adaptation scolaire, raconte une histoire à voix haute à Édith, 9 ans. Lorsqu'elle avait 5 ans, une maladie dégénérative a commencé à attaquer son corps, pas sa tête. Elle se referme comme une huître depuis, comme si elle refusait son sort.

Dans la salle Snoezelen, Adil, 6 ans, et Lili, 12 ans, sont en exploration. Josée Villeneuve, enseignante en adaptation scolaire, les accompagne. La pièce est baignée d'une lumière feutrée, avec projections au mur. Les matelas blancs au sol invitent à la détente. L'enseignante tend des fils lumineux que les enfants peuvent manipuler. Elle chante doucement.

Des cris désespérés s'échappent du salon et viennent troubler le calme. Antoine se frappe la tête, il porte un casque matelassé pour se protéger de lui-même. Il mordille ses mains. On devra remplacer ses mitaines de protection avant qu'il se blesse. Elles se déchirent un peu plus à chacune des morsures. Stéphanie Gallant s'installe par terre à ses côtés, lui caresse le dos. Il a mangé, sa couche a été changée. Souffre-t-il? «Notre travail va beaucoup plus loin que l'administration de soins, dit-elle. Ça prend un désir de voir au bien-être des enfants dans une approche globale. Il faut tout donner, c'est exigeant, mais c'est très valorisant.» Plusieurs n'y arrivent pas.

Des clowns et un piano

Antoine s'assoupit finalement, toujours au sol. Les clowns thérapeutiques arrivent au même moment, avec leur habituel nez rouge, une guitare et une imagination débordante. Leur tournée ici est bien différente des autres. «J'ai l'impression de faire du «micro» clown. On se réjouit de réactions minimes, dit Nancy McReady, alias docteur Quenouille. Ces enfants nous incitent à prendre notre temps. Notre but est d'améliorer leur qualité de vie, de donner de l'amour.»

«Par l'approche spontanée du jeu, nous sommes arrivés à déclencher des réactions imprévues, indique Guillaume Paquette, alias docteur Spring. On travaille de concert avec les thérapeutes, c'est un laboratoire pour nous et ça a amené du sérieux dans notre approche.» Il joue aux jeux vidéo avec Toby, 17 ans, pendant ses traitements d'inhalothérapie. Il lutte avec Abil, 6 ans. «Si son corps n'est pas stimulé, il va s'éteindre tranquillement. Quand Abil me touche, je fais comme s'il me lançait sur un mur. Ça lui donne une impression de contrôle sur sa vie. Il progresse. De plus en plus, on fait des jeux spécifiques. Il a commencé à parler.» Même Édith rit des folies des clowns. «Je la connais depuis longtemps, dit Nancy McReady. J'arrive à la faire rire. Nos folies permettent d'ouvrir des portes qui, autrement, resteraient fermées.»

Lorsque des enfants sont en fin de vie, les clowns sont aussi les bienvenus. «Les parents apprécient notre présence. On essaie de rester dans l'énergie de jeu jusqu'à la fin, poursuit-elle. On voit l'enfant, pas la maladie. Ça allège l'atmosphère, ça permet de rester dans la joie.»

Une fois le soleil couché, les enfants ont droit à un concert privé au salon. Un pianiste bénévole, de passage deux fois par semaine, s'exécute entouré d'une douzaine d'enfants en fauteuil roulant. Il entame des chansons de répertoire. Les parents s'assoient. Les intervenants s'arrêtent. Ils prennent les enfants dans leurs bras, chantent. Certains petits tapent la mesure, sourient. Le temps semble s'arrêter et le bonheur s'égrener une note à la fois.

* Le nom de la majorité des enfants a été changé.