Peut-on «guérir» l'homosexualité? Des psychologues et des thérapeutes du Québec et d'ailleurs soutiennent que oui. Ils proposent de «réorienter» des personnes qui vivent difficilement leur homosexualité. Thérapies en tête-à-tête, par Skype, par téléphone ou par l'entremise de Jésus: tous les moyens sont bons pour essayer de changer l'orientation sexuelle d'un patient. Certains suggèrent des séances d'une heure par semaine pendant deux ans... pour un coût total de 12 000 $.

La première consultation a lieu en périphérie d'Ottawa, dans une rue déserte. Viviane Castilloux, psychothérapeute pour l'organisation Thérapie chrétienne Outaouais, accueille dans le sous-sol de sa maison des hommes et des femmes aux prises avec un problème d'identité sexuelle. Sa spécialité: les thérapies de réorientation.

«La parole de Dieu est claire: l'homosexualité est une tentation et ce n'est pas quelque chose qu'Il encourage, dit-elle d'emblée avec assurance. Si tu veux t'en aller dans l'homosexualité et décider d'être bien là-dedans, je te respecte, mais c'est là que je ne serais plus compétente. Ma compétence est dans le sens inverse.»

Assise confortablement, Viviane Castilloux, membre de l'Association ontarienne des consultants, conseillers, psychométriciens et psychothérapeutes, explique que l'attirance pour les personnes du même sexe n'est qu'une «tentation» parmi tant d'autres. La mission de chaque individu sur Terre est donc de vaincre la sienne.

«Tu es né dans le péché, dans le mal du monde, poursuit-elle. Jésus-Christ est là et il te dit: "Rapproche-toi de moi et je vais te donner la chance de combattre ça."»

Des consultations de ce genre, appelées «thérapies réparatrices» dans le jargon médical, sont pratiquées depuis plus d'un demi-siècle. Surtout répandues aux États-Unis, elles ont pour objectif de réduire les attirances homosexuelles d'un patient tout en misant sur son potentiel hétérosexuel. Souvent lié aux milieux évangélistes, ce traitement suscite un véritable tollé chez nos voisins du Sud. Le 1er janvier 2013, la Californie deviendra d'ailleurs le premier État américain à interdire les thérapies de réorientation sexuelle pour les moins de 18 ans.

Si Thérapie chrétienne Outaouais, qui compte dans ses rangs au moins trois thérapeutes québécois et ontariens licenciés, s'adresse exclusivement à la population chrétienne, Jonah International prête main-forte aux juifs homosexuels du monde entier depuis 1999. Avec un réseau d'intervenants en santé mentale qui travaillent principalement aux États-Unis, le codirecteur de l'association, Arthur Goldberg, vend des thérapies par webcaméra, à l'aide du logiciel Skype.

Après une brève conversation téléphonique avec le responsable de Jonah, il appert que David Pickup, thérapeute familial habitant à Los Angeles, et Aryeh Dudovitz, rabbin de Chicago, pourront amorcer un traitement dans les jours suivants.

«Habituellement, la raison pour laquelle les hommes ressentent des sentiments homosexuels est qu'ils pensent ne pas avoir eu assez de proximité avec la gent masculine, le plus souvent pendant l'enfance, mais aussi au cours de leur vie adulte», explique David Pickup, en thérapie avec La Presse.

Pour M. Pickup, qui dit être lui-même venu à bout de telles attirances, l'homosexualité n'est pas une maladie; elle est plutôt provoquée par des souvenirs et des traumatismes douloureux refoulés. L'absence d'une figure paternelle dans la vie d'un garçon en est souvent l'origine, ajoute-t-il.

Mais rien n'est insurmontable. Selon M. Pickup, une heure de thérapie par semaine pendant deux ans - au coût de 120$ la séance - et une volonté d'acier mèneront tout client au succès. Toutefois, comme les rencontres se déroulent à distance et dépendent d'outils technologiques, le patient «doit reconnaître que les consultations par téléphone et télévidéo peuvent ne pas s'avérer aussi efficaces que des séances face à face», comme l'indique le Dr Pickup dans son formulaire de consentement.

Aryeh Dudovitz tient le même discours. Même s'il n'est pas psychologue, son approche est tout aussi efficace, promet le rabbin âgé de 47 ans. Puisque «les contraires s'attirent», un homosexuel doit passer plus de temps avec d'autres hommes afin d'être tenté par le sexe opposé. De plus, le concept d'homosexualité n'existe pas, assure M. Dudovitz en thérapie. «Si tu n'en fais pas ton identité, ça ne te définit pas. Est-ce que tu es un homosexuel? Est-ce ton identité? Ou bien ton identité primaire, c'est d'être un homme?»

Et au Québec?

Plus près de chez nous, à Montréal, l'auteur et ex-journaliste Michel Lizotte est à la tête du groupe Ta Vie Ton Choix (TVTC). La Presse a tenté d'infiltrer l'organisme, qui propose des thérapies de réorientation aux adultes, aux adolescents et même aux enfants. M. Lizotte fait toutefois preuve d'une méfiance à toute épreuve. En effet, avant d'accepter tout client, le fondateur de TVTC prend le temps de vérifier rigoureusement le passé personnel et professionnel de l'individu, afin de s'assurer de la sincérité de ses démarches.

Nous avons tout de même réussi à mettre la main sur le détail des services offerts par le regroupement. Ce prospectus informatif, envoyé par courrier aux clients potentiels, est surnommé le «kit de préparation».

«Si, dans le passé, tes recherches t'ont conduit vers des thérapeutes ne cherchant qu'à te convaincre que tu es une personne homosexuelle, que tu es né ainsi et que rien au monde ne changera cela, ton cauchemar est terminé», lit-on. Les psychologues de TVTC permettent aux Québécois homosexuels de retrouver «le chemin de la tranquillité d'esprit et la paix du coeur». Le hic? Les thérapies réparatrices ne sont pas infaillibles, prévient TVTC. Le taux de succès est chiffré à 40%.

Avant la publication de cet article, La Presse a appelé Michel Lizotte afin de lui offrir un droit de parole. Il a aussitôt mis fin à la conversation. «Regardez, monsieur, on s'est parlé, vous avez été un menteur. Je n'ai plus le goût de vous dire un mot. Au revoir», a-t-il dit avant de raccrocher.

Viviane Castilloux, psychothérapeute pour Thérapie chrétienne Outaouais, n'a pas souhaité faire de commentaire.