Un ancien urgentologue du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) poursuit le gouvernement québécois pour 15 millions. Le docteur Luc Bessette accuse Québec d'utiliser, dans le cadre du déploiement des dossiers de santé informatisés dans les hôpitaux, un concept qu'il a breveté en 1998.

«Un brevet, c'est un droit de propriété intellectuelle. Si vous avez un terrain et qu'on vient y construire un hôpital, vous expliquerez que c'est votre terrain. Vous ne demanderez pas de faire raser l'hôpital, mais vous expliquerez que vous devriez recevoir une compensation, parce que c'est votre propriété», a expliqué le Dr Bessette dans une entrevue accordée à La Presse.

«J'ai voulu faire avancer pendant plusieurs années un projet qui aurait pu créer une richesse collective, mais je n'ai pas pu le faire. Maintenant que le projet est en cours, j'ai au moins le droit à la propriété intellectuelle de mon idée. Et je veux une compensation.»

Le dossier de santé informatisé est un projet qu'il chérit depuis plus d'une décennie. Dès 1996, dit-il, il a discuté avec d'autres urgentologues du CHUM du traitement complexe des patients qui devaient être transférés d'un hôpital à un autre lors d'une situation d'urgence. Leurs dossiers, eux, étaient difficilement transférables.

Le Dr Bessette a imaginé un système qui aurait permis de consulter les dossiers des patients dans tous les hôpitaux du CHUM, à partir d'une plateforme électronique unique.

Après qu'il eut breveté son idée, en 1998, le ministre des Finances de l'époque, Bernard Landry, l'a convoqué pour qu'il explique comment l'informatisation des dossiers de santé serait profitable pour les finances publiques.

«C'était une rencontre cordiale. Avec deux partenaires du milieu privé, j'ai expliqué à M. Landry ce qu'on voulait faire, et il a trouvé ça pertinent. Il voyait que le projet était intéressant», affirme le Dr Bessette.

Pour lancer un projet-pilote, l'urgentologue devait convaincre le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) d'aller de l'avant. Il soutient qu'il a expliqué les grandes lignes du système au directeur des technologies de l'information de l'époque, Roch Beauchemin.

Quelques mois plus tard, la réponse est arrivée. C'était non. Douze ans plus tard, la situation n'est plus la même. Lorsque, le 6 février 2012, l'ex-ministre de la Santé Yves Bolduc a annoncé la mise en place des dossiers de santé informatisés (sous le nom de Dossier de santé du Québec ou DSQ), le Dr Bessette n'en a pas cru ses oreilles.

«On a vu essentiellement le même schéma d'organisation que dans mes brevets. Je ne sais que croire. L'information a dû arriver au ministère de la Santé. J'ai dit au ministère qu'il utilisait un système breveté. On m'a répondu que c'était non fondé. Honnêtement, c'est frustrant de voir que, 12 ans après avoir rejeté mon projet du revers de la main, on le reprend sans respecter mes brevets», explique-t-il.

Avec l'élection du Parti québécois, en septembre dernier, il a eu espoir que le dossier bouge. Encore une fois, à Québec, ce fut le silence radio. «Je crois que si on était allé de l'avant avec mon projet-pilote, ça aurait permis au gouvernement d'épargner des centaines de millions. C'est pour ça que je suis fâché. Imaginez aussi tout ce qu'on aurait pu faire, avec l'ensemble de l'industrie, pour faire avancer la science, pour maximiser les exemples concrets en enseignement de la médecine», dit le Dr Bessette.

Le médecin déplore que les politiciens manquent de vision quand il s'agit d'imaginer l'avenir de la science. Il veut aussi que son idée lui soit attribuée, avec toutes les compensations nécessaires.

«Il faut qu'on commence à comprendre la valeur de la propriété intellectuelle. Au Québec, on maîtrise mal ce type de droit», conclut-il.

Le bureau du procureur général du Québec, responsable du dossier, a refusé de commenter cette histoire. Il a toutefois précisé à La Presse qu'il sera possible de faire toute la lumière sur l'affaire lors du procès. Son de cloche similaire au cabinet du ministre de la Santé, Réjean Hébert. Impossible de savoir pourquoi le cabinet du ministre n'a pas répondu à la mise en demeure envoyée par le Dr Bessette, au début novembre.

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Le dossier santé en bref

Le Dossier de santé du Québec (DSQ) permettra aux intervenants de la santé d'accéder à certains renseignements de santé, tels que la liste des médicaments pris par un patient, des résultats d'imagerie diagnostique, ou des résultats de laboratoire.

Le dossier clinique informatisé est le dossier privé d'un patient, contenu dans un hôpital, qui peut être partagé avec les cliniciens inscrits sur la liste du patient.

En date d'aujourd'hui, le DSQ a été implanté uniquement dans la grande région de Québec.

Actuellement, 156 pharmacies, 24 cliniques, 5 CLSC et 7 services d'urgences ont accès au DSQ.

L'enveloppe totale du budget est de 563 millions, incluant une contribution du gouvernement fédéral de 303 millions.

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec