La transaction se déroule dans le stationnement d'un centre commercial lavallois. Trois fioles étiquetées et une boîte de comprimés coûtent 500$.

Éric, le jeune homme qui nous apporte ces drogues, jure qu'il n'est ni vendeur ni consommateur, mais qu'il est juste assez branché pour savoir comment mettre la main sur ces produits illégaux, fabriqués dans un laboratoire clandestin de la région. «Ça vient de l'ami d'un ami», se borne-t-il à dire pour clore l'interrogatoire.

La Dre Alexandra Bwenge, membre de l'Association québécoise des médecins du sport, et Marielle Ledoux, directrice du département de nutrition de l'Université de Montréal, ont toutes deux écarquillé les yeux en voyant les fioles au fond d'un sac de plastique à glissière. «C'est des vrais stéroïdes, ça, où est-ce que t'as trouvé ça?», s'est exclamée Marielle Ledoux. «Ils mettent même des étiquettes!», s'est étonnée la Dre Bwenge en regardant la marque Inovagen inscrite sur les fioles.

Selon notre fournisseur, il s'agit d'une marque québécoise très populaire.

L'une des fioles contient un concentré de testostérone - de la «tes», dans le jargon - sous forme huileuse. Une autre sert à faire grossir et à découper les muscles.

Les injections doivent se faire aux deux jours durant environ trois semaines, à raison de 1 ou 2 ml chaque fois. À nos trois fioles s'ajoutent une dizaine de comprimés de T3, un substitut de l'hormone thyroïdienne qui permet de perdre rapidement du poids.

Dangereux, tout ça? Très, répondent les nombreux experts interrogés dans le cadre notre enquête.

«Tout dépend de l'objectif et de la façon qu'on emploie pour y arriver», soutient pour sa part Éric, qui jure pourtant n'avoir jamais consommé de stéroïdes à cause des effets secondaires.

Il a toutefois déjà songé à en produire, ce qui explique pourquoi il en connaît un rayon sur le sujet. Il détaille d'ailleurs avec minutie les nombreux profils de consommation et de consommateurs. «L'hiver, les gars veulent grossir. L'été, ils veulent enlever le gras et la rétention d'eau pour paraître très découpés.»

Les produits varient selon les objectifs. Les gens qui veulent grossir rapidement s'injectent de la Deca, qui remplit d'eau certaines parties du corps. «Les effets secondaires nuisent aux érections, alors il faut prendre du Viagra en même temps.»

D'autres sortes de stéroïdes sont aussi en vogue, comme le Trent (résultats rapides), le Primo (plus cher mais sans effet secondaire), ou l'Anvar (haut de gamme vendu en comprimés).

Les adeptes devraient s'en tenir à un cycle ou deux par année, mais plusieurs prennent des stéroïdes presque en continu. «Ils font un cycle de deux ou trois mois, un bridge (une pause) de deux, trois semaines puis recommencent», souligne Éric.

Au coût des produits et de l'entraînement intensif s'ajoute celui d'une alimentation excessive, destinée à acquérir de la masse. «Certains consommateurs vont jusqu'à manger huit blancs d'oeuf, des poitrines de poulet, deux steaks et plus en une journée. Même si tu n'as pas faim, tu dois manger des protéines. Tu «hackes» ton corps, en quelque sorte», illustre Éric.

Le consommateur se met à manger six fois par jour et à calculer maladivement ses calories.

L'obsession du début fait ensuite place à l'habitude, puis à la discipline.