Un traitement pour les allergies respiratoires qui vient de faire son entrée dans quelques cliniques du Québec, la désensibilisation sublinguale par voie liquide, suscite un vif débat au sein de la communauté médicale. L'un des seuls médecins à offrir le traitement affirme qu'il s'agit d'une technique d'avant-garde, alors que l'Association des allergologues et immunologues du Québec (AAIQ) prévient qu'il n'existe pas, pour l'instant, d'études scientifiques qui concluent qu'il fonctionne réellement.

Il est possible de diminuer de façon significative les symptômes d'allergies respiratoires (pollen, graminées, chiens, chats, herbe à poux, bouleau, acariens) en administrant des vaccins contenant des antigènes pour forcer le système immunitaire à combattre l'allergie. Les allergologues du Québec offrent ce traitement à leurs patients depuis des années sous supervision médicale.

La désensibilisation sublinguale par voie liquide est pratiquée en France depuis près d'une décennie. Il s'agit d'une technique d'immunothérapie qui consiste à administrer sous la langue la même solution saline que celle utilisée pour les vaccins, mais en concentration plus élevée, car l'absorption du produit se fait moins facilement par la muqueuse de la langue que lorsqu'il est administré par intraveineuse.

La première dose est administrée sous supervision médicale au cas où une réaction allergique survienne. Le reste des doses peuvent être prises à la maison. Durant plusieurs semaines, le patient retourne à la clinique une fois par semaine pour que la concentration du produit soit augmentée, jusqu'à un seuil dit «d'entretien». La dose d'entretien est alors prise une fois par mois durant trois ans.

Les spécialistes s'entendent pour dire qu'il y a moins de risques de provoquer une réaction allergique ou de choc anaphylactique par voie orale que par injection sous-cutanée. Le hic, c'est que les solutions n'ont pas été approuvées par Santé Canada pour être administrées de cette manière et l'efficacité du traitement ne fait pas l'unanimité.

«Avant de donner notre aval à une nouvelle forme de thérapie, on a besoin d'avoir des preuves qui appuient sa valeur scientifique», indique Jacques Hébert, président du Comité sur l'immunothérapie de l'AAIQ. «Le problème avec l'immunothérapie orale sous forme liquide, c'est que les études qui ont été réalisées sont assez élémentaires et pas très solides sur le plan scientifique», explique-t-il en soulignant que le nombre de patients dans les groupes tests des études est souvent peu élevé. «Le deuxième problème, c'est que les doses et concentrations thérapeutiques utilisées ne sont pas connues ni reconnues. Il n'y a pas de balises»

Le médecin Guy Tropper, un oto-rhino-laryngologue qui pratique dans une clinique privée de Boucherville, est l'un des rares médecins qui offrent le traitement. Ce dernier a parfait sa formation aux États-Unis et en France. «Lorsque je suis revenu, je me suis demandé pourquoi on n'offrait pas cela ici, alors que c'est dans l'intérêt des patients. Moi, je suis allergique, mes enfants sont allergiques. Si je pense que c'est bon pour mes enfants, je ne vois pas pourquoi je n'offrirais pas l'option à mes patients», explique-t-il à La Presse.

Il admet que les études scientifiques concluantes ont pour l'instant été menées auprès de petits groupes de patients. «L'efficacité de ce traitement a été prouvée par la science, lors d'études très diverses, mais avec un nombre de patients relativement faible, entre 20 et 40», explique le médecin qui dit pratiquer selon des protocoles conçus par des organismes américains.

Santé Canada a autorisé deux sociétés pharmaceutiques à distribuer dès l'automne un produit de désensibilisation orale, mais en comprimés. Ce produit visera cependant uniquement les allergies aux graminées, très courantes en Europe, mais peu présentes ici.

«Quand je vois un jeune patient qui commence une allergie, je peux me croiser les bras et lui dire de prendre des antihistaminiques et d'attendre 10 ans que les sociétés pharmaceutiques créent un comprimé, ou j'essaie de traiter avec ce que l'on a, au mieux de mes connaissances», dit-il.

«Le message, dit-il, c'est qu'il faut traiter les allergies. On a les moyens de le faire. Ce n'est peut-être pas aussi clair et aussi évident, mais on a de très bons repères dès maintenant.»

Avis demandé

Le Dr Tropper et l'AAIQ ont récemment croisé le fer dans un échange de lettres ouvertes publiées dans L'actualité médicale, publication professionnelle destinée aux médecins.

Le Collège des médecins permet pour l'instant la désensibilisation sublinguale par voie liquide. «Nous ne sommes pas une société savante», a expliqué Leslie Labranche, porte-parole du Collège. En raison du débat, le Collège a demandé à l'Institut national d'excellence en santé et services sociaux du Québec, anciennement le Conseil du médicament, de se pencher sur le traitement. «D'ici là, il peut offrir ce traitement parce qu'il y a quand même une certaine littérature scientifique qui appuie le traitement», a ajouté Mme Labranche.