C'était il y a tout juste un an. Rachelle Pitre venait d'apprendre que le soleil, qui avait été son allié pendant des années, en vrai et par tubes fluorescents interposés, était en train de la détruire insidieusement. À 31 ans, elle avait le cancer de la peau.



«Je me revois assise au bureau du dermatologue. Le médecin venait de lâcher le mot "cancer". Il continuait de parler, me donnait des conseils, mais je n'entendais plus rien. Je voyais juste ses lèvres bouger», se souvient Rachelle.

Une fois le choc passé, la jeune femme est allée au plus pressé. Le 13 juillet 2011, elle s'est fait opérer. Il y avait six lésions à enlever, quatre au visage, une à un sein et une autre à une cuisse. Il fallait exciser ces lésions et gratter autour pour tout éliminer. L'intervention, réalisée sous anesthésie locale, a été douloureuse, et la convalescence inquiétante. Son visage a été totalement enflé pendant au moins une semaine. Le pire était de savoir qu'elle avait sans doute contribué à ses malheurs, en s'exposant trop au soleil et en fréquentant les salons de bronzage. Tout cela pour se rendre «plus belle».

En surfant sur l'internet, Rachelle s'est rendu compte qu'elle n'était pas un cas isolé, loin de là. Geneviève Phénix, du même âge qu'elle, avait été une assidue des salons de bronzage dès l'âge de 15 ans. À 24 ans, on lui a diagnostiqué un cancer de la peau. Elle était porte-parole de la Société canadienne du cancer dans une campagne destinée à faire interdire les salons de bronzage aux mineurs.

Combative dans le prétoire quand il s'agit de plaider contre le crime, Rachelle Pitre, qui exerce le métier de procureure de la Couronne à Montréal, a entrepris de se joindre à ce combat et de plaider contre le bronzage à tout prix, en racontant sa propre histoire.

Pas à risque

Originaire de Percé, en Gaspésie, Rachelle a toujours adoré le soleil et ne se souvient pas d'avoir eu un important coup de soleil de sa vie. Elle bronzait rapidement, sans brûler.

Rachelle est allée dans un salon de bronzage pour la première fois à 16 ou 17 ans. Le but: se donner un beau hâle qui trancherait avec la blancheur de sa robe au bal de fin d'études. Quelques séances, et le tour était joué. Comme bien d'autres, Rachelle a pris goût à ce cérémonial, qui lui attirait les compliments. «Quand on est bronzé, les gens nous disent souvent qu'on a l'air bien, en santé. C'est paradoxal, on hypothèque notre santé, pour avoir l'air en santé.»

Pendant des années, Rachelle s'est fait bronzer naturellement et entretenait son hâle en se rendant dans les salons de bronzage une ou deux fois par mois, et même une fois par semaine au début de l'été. Toujours dans «les lits les plus forts», vu son apparente tolérance aux rayons UV.

Rachelle avait vaguement entendu parler du cancer de la peau, mais comme bien de jeunes, elle ne se sentait pas vraiment concernée. D'autant plus qu'avec sa peau et ses cheveux foncés, elle n'était pas dans un groupe à risque.

Mais le printemps 2011 allait faire voler ses illusions en éclats. De petits points rouges, en apparence anodins, sont apparus. «J'ai pensé à de l'eczéma ou du psoriasis. Au début, c'était gros comme des pointes de crayon. Ça partait, ça revenait, ça grossissait», se souvient Rachelle, qui a finalement décidé d'aller consulter un dermatologue. Pour la forme, car elle était bien loin de se douter du diagnostic qui allait tomber.

«Apprendre qu'on a le cancer à 31 ans, c'est un choc. Quand je suis arrivée dehors après mon rendez-vous, je ne voyais plus le soleil comme avant. C'était devenu un ennemi. Je me sentais attaquée, fragilisée...»

Depuis, Rachelle doit mettre de la crème avec un indice de protection contre les rayons UV de 60, sept jours sur sept, même l'hiver. Son rapport avec le soleil a totalement changé. Malgré ses précautions, elle a dû repasser sous le bistouri depuis sa première opération, puisque d'autres lésions sont apparues. Désormais, elle vit avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Loi adoptée

En juin dernier, la Société canadienne du cancer, Geneviève Phénix, Rachelle Pitre et les 60 000 personnes qui avaient signé une pétition ont eu gain de cause: le gouvernement du Québec a adopté une loi qui interdit désormais la vente de services de bronzage aux mineurs. Le domaine du bronzage sera aussi mieux encadré. Mais la sensibilisation se poursuit. Car les risques de contracter le cancer ne s'arrêtent pas à 18 ans. Avec de 22 000 à 35 000 cas par année, le cancer de la peau est le type de cancer le plus fréquent au Québec, selon la Société canadienne du cancer.