La pénurie de médicaments engendrée par le ralentissement de production chez le fabricant Sandoz a obligé les professionnels de la santé à faire des miracles pour répondre aux besoins des patients. Si jusqu'ici les activités ont pu être maintenues, dans quelques semaines, à moins d'un revirement de situation, des réductions de services sont à prévoir.

Ce constat est partagé tant par l'Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES) que par la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).

Chaque jour les pharmaciens d'établissements hospitaliers font face au même défi: gérer les stocks de médicaments intraveineux.

Sans vouloir être alarmiste, le docteur Gaétan Barrette, président de la FMSQ, affirme que le réseau est sur la corde de raide, avec peu de marge de manoeuvre.

Il a fait savoir à Québec qu'il se devait de donner l'heure juste à la population. Si les choses ne s'améliorent pas, il soutient que d'ici deux semaines, il faudra songer à diminuer certaines activités médicales.

«S'il n'y a pas de développement, nous n'aurons pas le choix de réduire les services et de diminuer le nombre de chirurgies pour minimiser les cas aux soins intensifs. C'est une question de risque afin d'éviter des situations cliniques que nous ne pourrions pas assumer», a affirmé le médecin.

Sandoz a recommencé la semaine dernière à produire des médicaments intraveineux, selon certaines priorités. Il n'en demeure pas moins qu'il faudra patienter avant de revenir aux conditions optimales de traitement.

Pour certains médicaments, le retour à une disponibilité normale est envisageable dans un horizon de 12 mois, mais pour d'autres, il pourrait falloir attendre 18 mois.

Depuis le début des problèmes d'approvisionnement, des mesures ont été mises en place tant par le gouvernement du Québec que par l'ordre des pharmaciens et celui des infirmières. Ces alternatives, destinées à optimiser les médicaments disponibles, ne sont pas dépourvues de risques pour les patients, comme le démontre un  extrait d'une lettre dont La Presse Canadienne a obtenu copie.

«Ces mesures exceptionnelles tiennent compte des risques augmentés de porter atteinte à la sécurité des patients», peut-on lire dans la lettre du ministère de la Santé, datée du 7 mars dernier, à l'intention des directeurs des soins infirmiers.

Dans cette même lettre, il est aussi précisé que les mesures mises en oeuvre ne sauraient perdurer «au moment où un niveau d'approvisionnement normal aura été rétabli».

Tous sont conscients des risques liés à cette situation qualifiée de «très critique» par Linda Vaillant, directrice générale de l'APES.

Ces risques sont liés à la notion de contamination, parce que les pharmaciens doivent parfois effectuer des manipulations en milieu non stériles, a expliqué Mme Vaillant en entrevue.

En ce moment, l'indisponibilité de certains produits amène les professionnels à travailler avec des concentrations variées de médicaments. Le pharmacien doit par exemple diluer des fioles concentrées ou utiliser d'autres médicaments. Si les mélanges sont effectués dans un milieu non stérile, une contamination bactériologique peut survenir.

Linda Vaillant parle donc d'un compromis entre deux niveaux de risques: ne plus traiter le patient ou risquer une infection par bactérie à cause de la manipulation.

«Il y a eu des débats et la conclusion a été qu'il vaut mieux prendre le risque le plus léger et, au besoin, traiter l'infection par des antibiotiques», a concédé Mme Vaillant, qui maintient qu'il s'agit d'un risque et que tous en sont conscients et tentent d'éviter le pire.

Ces modifications de concentrations se traduisent également par des notes et codifications de toutes sortes pour éviter que les infirmières n'administrent les mauvaises doses.

L'impact sur la pratique quotidienne des médecins, infirmières, pharmaciens, anesthésistes et plusieurs autres professionnels est colossal.

Sous le couvert de l'anonymat, des médecins et des préposés ont indiqué à La Presse Canadienne subir des pressions quotidiennes et devoir jongler pour «aspirer des fonds de fioles».

Ottawa au coeur de la solution

Pourtant, selon le président de la FMSQ et la présidente de l'APES, la crise pourrait se résorber et glisser vers une période intermédiaire viable, si le gouvernement fédéral accouche rapidement des décisions bureaucratiques nécessaires.

«C'est une banalité administrative. Il ne manque pas de médicaments dans le monde occidental, il manque une réglementation à changer rapidement au Canada», a affirmé le docteur Barrette.

Ainsi, l'issue de la pénurie est en partie tributaire d'une décision d'Ottawa d'autoriser d'autres fournisseurs, étrangers, qui possèdent déjà une certification de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis.

«Ça ne prend que ça et c'est terminé. Nous pourrions alors acheter nos médicaments des États-Unis, peut-être un peu plus cher, mais au moins les patients seraient servis», a laissé tomber Gaétan Barrette.

«Il a d'affaire à réagir, le fédéral, sans quoi toutes les organisations médicales vont sortir pour dire à la population "le fédéral va vous empêcher de vous faire opérer"», a lâché le docteur Barrette.

Les délais qu'impose le gouvernement fédéral sont aussi déplorés par Linda Vaillant, qui se dit étonnée de la position d'Ottawa de demander aux pharmaciens de trouver les stocks disponibles.

«Toute cette incertitude crée un stress énorme. Il a fallu un mois à Ottawa pour réaliser qu'il y avait un véritable problème. Tout ce qu'il reste à faire, c'est dire oui et autoriser les produits à entrer au pays. On se perd actuellement dans la paperasse administrative, mais enfin, ça semble bouger», a-t-elle dit.

Plusieurs médicaments sont touchés, dont la protamine, un médicament essentiel en chirurgie cardiaque, le décadron, notamment utilisé auprès des patients qui subissent des traitements de chimiothérapie, et la morphine injectable.