L'avocat reconnu pour traquer les erreurs médicales au Québec, Me Jean-Pierre Ménard, affirme que le ministre Yves Bolduc a tout à fait raison quand il dit que certains chirurgiens se gardent de longues listes d'attente afin de pouvoir diriger leurs patients vers le privé.

«C'est tout à fait vrai. Pas plus tard qu'il y a trois semaines, j'ai eu à traiter le dossier d'une patiente dans la même situation. C'est un chirurgien de l'hôpital Jean-Talon qui lui avait dit d'aller dans sa clinique privée et que ça ne prendrait que deux semaines. Je travaille actuellement sur deux poursuites impliquant le privé, et il y en a d'autres», a indiqué Me Ménard à La Presse.

Selon lui, la loi 33 permettant aux chirurgiens d'opérer des patients à la fois au privé et au public et visant à garantir l'accès à des soins a ouvert la porte à plusieurs dérapages médicaux. «Je ramasse plusieurs cas de complications postopératoires qui ont été faites dans le privé, dénonce-t-il. Les gens doivent bien comprendre que la seule chose qu'ils achètent quand ils vont au privé, c'est le droit d'être traités plus vite.»

Particulier à Montréal

Comme l'a rapporté La Presse lundi, le ministre Bolduc estime que le phénomène des chirurgiens qui dirigent leurs patients au privé est particulier à la région de Montréal. Interrogé à ce sujet lundi matin, lors de l'inauguration du Centre intégré de cancérologie de Laval, il a précisé que cela concernait environ 150 chirurgiens sur les 2200 qui pratiquent au Québec. La situation est prise au sérieux, au point où le ministre a pris contact personnellement avec le président du Collège des médecins du Québec, le Dr Charles Bernard, afin qu'il se penche sur la question et que le Collège présente des recommandations, en collaboration avec les associations de spécialistes.

La sortie du ministre a aussi fait réagir la porte-parole en santé de l'opposition officielle à Québec, Agnès Maltais, qui, loin d'être surprise, a affirmé être déjà intervenue dans certains cas, notamment dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Elle réclame qu'on modifie la loi pour forcer les chirurgiens à dévoiler leurs listes d'attente. «Il faut sortir les listes d'attente des hôpitaux et les rendre publiques régionalement. Ensuite, les centraliser au niveau de la province, dit-elle. La loi 33 qui permet aux chirurgiens de pratiquer à la fois au privé et au public a été adoptée sous Philippe Couillard. Le ministre Bolduc a maintenant le devoir de mettre de l'ordre là-dedans.»

Au Collège, on confirme avoir été saisi du dossier. «C'est une situation qu'on prend au sérieux, qui nous préoccupe, a affirmé la porte-parole de l'Ordre, Leslie Labranche. On va se rencontrer avant de faire des commentaires. On ne veut pas précipiter nos conclusions.»

Bras de fer

La sortie publique d'Yves Bolduc a également donné lieu à une volonté de bras de fer de la part du Dr Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), qui a mis au défi le ministre de la Santé de dévoiler des noms de chirurgiens. «S'il en a, des noms, et que ce n'est pas vrai, malheureusement pour lui, il va se faire poursuivre, a déclaré le Dr Barrette sur les ondes de Radio-Canada. Dans l'après-midi, le président de la FMSQ a refusé un entretien avec La Presse en raison «d'un agenda trop chargé», a-t-on indiqué à son bureau, et la FMSQ a publié un communiqué officiel reprenant ses propos.

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) s'étonne elle aussi de la sortie du ministre Bolduc, et a rappelé que c'est le gouvernement libéral qui a favorisé la mise sur pied de ces cliniques en modifiant la loi, en 2007. «La CSQ s'est toujours opposée à l'implantation des cliniques privées. Le gouvernement Charest aurait dû, comme il avait été convenu à l'époque, mettre en place des centres ambulatoires publics dans chacune des régions du Québec et favoriser un mécanisme de gestion régionale des listes d'attente», a déploré Louise Chabot, première vice-présidente de la CSQ et responsable des dossiers de la santé.