La nouvelle est presque passée sous le radar au Canada, mais elle fait beaucoup de bruit depuis quelques jours aux États-Unis et en France. Des chercheurs, qui ont découvert une façon de modifier le virus H5N1 en le rendant potentiellement transmissible entre humains, ont freiné la publication de leurs travaux sous la pression de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui craint les risques de bioterrorisme.

Deux équipes sont à l'origine de ces recherches dont les résultats devaient être publiés incessamment dans les revues Nature et Science. La première travaille au centre médical universitaire Erasmus de Rotterdam, aux Pays-Bas.

Question d'éthique

Elle avait annoncé l'automne dernier avoir été en mesure de créer une mutation du virus aviaire (oiseaux) pour qu'il se transmette entre mammifères et potentiellement entre humains. Cela en faisait un supervirus. L'autre équipe est à l'Université du Wisconsin, au nord des États-Unis, et a aussi suivi les recommandations en acceptant de suspendre son projet de recherche.

Pour une question d'éthique, et à la demande de l'OMS, les chercheurs ont donc consenti à reporter la publication de leurs travaux de 60 jours. Ils veulent toutefois ouvrir un débat et exposer les bienfaits de leurs travaux à la communauté scientifique internationale. Selon eux, il y a des bénéfices évidents dans leurs découvertes. Et ils entendent aussi démontrer les mesures prises pour réduire les risques de propagation.

Au Québec, une vigie sur la grippe aviaire est toujours en place dans le réseau de la santé. À l'Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ), on explique qu'on a ce qu'il faut pour détecter la présence du virus H5N1.

La prudence

«L'alerte prépandémique a été maintenue par l'OMS parce que le virus a le potentiel de toucher l'humain, rappelle Dr Michel Couillard, directeur adjoint au Laboratoire de santé publique du Québec. Je pense que c'est prudent de s'interroger sur les conséquences de la publication de leurs travaux. Les chercheurs étaient bien intentionnés, c'est pertinent de savoir comment le virus peut se transformer afin de mettre au point des vaccins. Mais il faut se demander quels sont les gains de leurs travaux.»

Dans le domaine de la recherche, il est très rare qu'on freine la publication d'une découverte à moins qu'elle ne comporte des erreurs ou des dangers.

Jean-Pierre Vaillancourt, épidémiologiste de l'Université de Montréal spécialisé en zoonose (maladie transmissible de l'animal à l'humain), se souvient d'une étude portant sur la problématique des comportements de masse dont les travaux n'avaient pas été publiés.

L'exemple de Hitler

«L'étude expliquait comment un simple individu peut influencer tout un peuple, par exemple Hitler. Il y avait des conséquences. Le but premier des chercheurs est de publier, mais il faut se demander ce qui est acceptable. Dans le cas du H5N1, les chercheurs ont accepté de se censurer. Ils sont raisonnables. Il reste à voir quelle solution on va pouvoir trouver pour leur permettre d'avancer et de faire quelque chose avec leurs travaux», estime M. Vaillancourt.

Dans un article paru il y a quelques jours dans Nature, les chercheurs à l'origine de la mutation du virus H5N1 ont dit comprendre les craintes de la communauté scientifique, notamment en matière de bioterrorisme.

D'autres ont émis des craintes quant à une fuite possible du virus à l'extérieur des laboratoires.

Les chercheurs se sont engagés à tout mettre en oeuvre pour rassurer l'OMS. La publication aura probablement lieu, mais avec l'omission volontaire des informations les plus délicates, estime-t-on dans le milieu de la recherche.

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Rappel des faits

Le sous-type H5N1, virus de la grippe aviaire hautement pathogène, a infecté pour la première fois des êtres humains en 1997, lors d'une épizootie touchant la volaille à Hong Kong (région administrative spéciale de Chine). Depuis sa réémergence à une vaste échelle en 2003 et 2004, ce virus aviaire s'est propagé de l'Asie à l'Europe, et à l'Afrique, et s'est enraciné avec ténacité dans les populations de volailles de certains pays, provoquant des millions d'infections chez ces oiseaux, des centaines de cas humains et de nombreux décès chez l'homme. Depuis le début janvier, l'OMS a rapporté deux infections chez l'humain, la première en Indonésie et l'autre au Cambodge. L'une des deux personnes est morte. - Source: OMS