Les experts en santé mentale qui traitent jour après jour des sans-abri au centre-ville de Montréal dénoncent le système actuel, où les patients sont envoyés d'un hôpital à l'autre à la petite semaine, au gré des budgets, sans avoir droit à une réelle prise en charge.

Depuis des mois, ces experts préparent un ambitieux projet qui permettrait de regrouper sous un seul toit - celui de l'hôpital Notre-Dame - les soins de deuxième ligne offerts aux milliers de sans-abri montréalais atteints de graves problèmes de santé mentale.

Une dizaine de lits seraient ainsi réservés aux sans-abri dans cet hôpital du centre-ville. «Il faut faire les choses différemment, explique le chef du service de psychiatrie du CHUM, Paul Lespérance. On donne des services, d'autres en donnent, mais on a un peu l'impression que ce n'est le mandat de personne.»

En plus des 10 lits réservés aux sans-abri, le service compterait une vingtaine de professionnels (travailleurs sociaux, infirmières, ergothérapeutes, psychologues) et quatre psychiatres spécialisés en «psychiatrie urbaine».

Au total, ces soins spécialisés coûteraient environ 5 millions de dollars par an. Mais, selon le Dr Lespérance, ils permettraient de réduire le phénomène des «portes tournantes», selon lequel les patients passent sans cesse de la rue à l'hôpital à la prison sans jamais obtenir de soins adéquats.

Des cliniques psychiatriques pourraient être offertes sur le terrain, au sein même des refuges de la métropole. Des discussions en ce sens ont déjà été entamées avec les représentants de l'Accueil Bonneau et de la mission Old Brewery.

Un symptôme

La mort de Farshad Mohammadi, abattu vendredi par un policier montréalais, est un «symptôme» qui montre l'importance de changer l'approche adoptée jusqu'ici auprès des sans-abri atteints de troubles mentaux, estime le Dr Lespérance.

«On veut agir, mais pas nécessairement parce qu'on est inquiets du danger que pourraient représenter ces sans-abri. On se dit simplement que beaucoup de gens sont dans la rue parce qu'ils sont malades et qu'on devrait trouver une façon de mieux les traiter. Et on pense d'ailleurs pouvoir le faire.»

«Il se fait beaucoup de travail dans les refuges et les organismes communautaires, mais quand il y a un problème de santé mentale grave, les services offerts sont trop rares, ajoute Olivier Farmer, chef de la psychiatrie au CSSS Jeanne-Mance. On veut s'attaquer à ce problème.»

D'un hôpital à l'autre

Comme les sans-abri n'ont pas d'adresse, les hôpitaux montréalais se partagent la responsabilité de les traiter. Une semaine, c'est le CHUM qui les reçoit. La semaine suivante, c'est l'hôpital du Sacré-Coeur. La troisième semaine, le Royal-Victoria. Et ainsi de suite.

«C'est cette forme d'organisation que nous remettons en question. Selon nous, elle n'est pas acceptable», dit le Dr Lespérance.

«Imaginez que l'hôpital Fleury, dans le nord de la ville, soit responsable des sans-abri pour la semaine. Le résidant de l'Accueil Bonneau qui y sera hospitalisé ne retournera jamais là-bas, même si on lui organise un suivi à l'externe. C'est absurde, comme système, explique le Dr Farmer. On veut créer des lits spécialisés au centre-ville pour mettre un terme à cette ronde de la garde hospitalière.»

Avec la réorganisation du CHUM, l'hôpital Notre-Dame et le CSSS Jeanne-Mance formeront éventuellement l'hôpital communautaire de Montréal. Pour les deux psychiatres, il serait logique que cet établissement reçoive le mandat régional de traiter les sans-abri, dont la majorité vit au centre-ville.

Il y a plus de 20 000 sans-abri à Montréal. De ce nombre, au moins la moitié (10 000) errent dans les rues du centre-ville, dont environ le quart (2500) souffrent de graves troubles mentaux.

«Un grand nombre de gens ont besoin de services. Il est illusoire de penser pouvoir faire quelque chose de conséquent avec les ressources actuelles. Nous sommes déjà débordés», dit le Dr Farmer.

Une offre de services complète et cohérente pourrait éviter des drames comme celui de vendredi à Montréal, conclut le psychiatre. «Si les policiers doivent faire 30 interventions avant qu'une personne puisse finalement avoir des soins, c'est sûr qu'au moins une de ces interventions risque de mal se passer. Il faut que la première intervention soit la bonne. Qu'il y ait des services derrière.»