Les pharmaciens ne sont pas les seuls à revendiquer des pouvoirs accrus. L'Ordre des infirmières du Québec (OIIQ) a fait parler de lui dernièrement en réclamant au gouvernement un rattrapage de 10 ans comparativement aux autres provinces en rendant aussi le baccalauréat obligatoire à la pratique des soins infirmiers. Mais pendant ce temps, plusieurs infirmières soignent leurs patients avec l'impression d'avoir les mains liées. C'est particulièrement vrai pour les infirmières en soins à domicile, a constaté La Presse. À un tel point que l'Ordre pourrait réclamer lui aussi des pouvoirs de prescription.

14h

Francine Laplante a le fil de son téléphone mains libres accroché à l'encolure de son manteau. Des lunettes sur la tête. Un dossier sous le bras. On longe le couloir en coup de vent, direction le poste des infirmières du CLSC Marigot, à Laval. Elle prend un gros sac de papier sur lequel est inscrit le nom de la patiente: Micheline Ladouceur. À l'intérieur du sac, il y a le nécessaire pour lui prodiguer des soins. Elle regarde sa montre. Elle a environ huit malades à visiter. «En route», dit-elle.

Mme Laplante, infirmière bachelière ayant 36 ans d'expérience, vient de parler au médecin de l'un de ses patients. On va maintenant visiter une femme dont les jambes sont couvertes de plaies. L'infirmière est exaspérée. Elle explique que, depuis une semaine, elle remplit des fiches de liaison «l'une par-dessus l'autre» dans l'espoir de joindre le médecin de la patiente. En vain. Elle veut qu'on lui prescrive quelque chose de plus fort que de l'acétaminophène pour soulager sa douleur.

«Cette dame-là n'est pas du genre à se plaindre. Elle passe des nuits blanches à souffrir, explique-t-elle. Et tout son temps à canaliser sa douleur. On travaille avec des humains, pas avec des machines. Ça n'a pas d'allure. Je me donne trois jours pour régler son problème.»

14h40

«Je m'appelle Micheline Ladouceur, mais en ce moment, il faut m'appeler Micheline Ladouleur», dit la femme, en nous accueillant les bras agrippés à son déambulateur. Elle reçoit une infirmière pour la deuxième fois aujourd'hui. Chaque jour, elle reçoit trois fois la visite d'une infirmière pour changer ses pansements.

Francine Laplante dépose sa valise remplie de fournitures médicales. Elle passe en revue le dossier. Mme Ladouceur a les jambes boursoufflées, et c'est un euphémisme. Elle explique qu'elle a eu trois crises aiguës de douleur aujourd'hui. «À en crier durant une demi-heure, souffle la vieille dame. On dirait des coups de poignard.»

L'infirmière se penche et fait l'examen des jambes. «De l'oedème sévère, qui prend le godet, affirme-t-elle. En gros, ça veut dire que les plaies suintent. Il est important de changer le pansement pour ne pas que les ulcères s'étendent. Et il faut utiliser des compresses spéciales, absorbantes.»

15h

Mme Laplante regarde l'heure. Même si elle a d'autres patients à voir, elle prend le temps de rassurer Mme Ladouceur. «Je m'occupe de vous, dit-elle. Je vais appeler votre médecin.» Le temps de ranger la valise, de replacer le nécessaire à soigner et revoilà l'infirmière sur la route. «Ça n'a pas d'allure, dit-elle. Je ne demande pas de prescrire des narcotiques, mais il me semble qu'on pourrait faire plus. On a donné une partie de nos fonctions aux auxiliaires, aux inhalothérapeutes aussi. Il est temps qu'on puisse ajuster ou renouveler des ordonnances.»

À l'OIIQ, on explique qu'on se bat depuis six ans pour que les dispositions déjà prévues dans la loi soient mises en application. Les fameuses ordonnances collectives, dit Gyslaine Desrosiers, présidente de l'Ordre. «Mme Laplante a raison, estime la présidente. Depuis la loi 90 introduisant les ordonnances collectives, les infirmières qui font du suivi de patients, cancéreux ou autres, pourraient ajuster des médicaments. Sauf que nous sommes en 2011 et ce n'est toujours pas en place. C'est à cause du gouvernement qui ne prend pas le leadership dans le dossier, mais surtout à cause des pharmaciens qui nous ont rendu ça tellement compliqué. Ils ne veulent pas de nos ordonnances collectives.»

La présidente de l'Ordre se demande si le dossier aboutira un jour. «Mais à défaut d'obtenir les ordonnances collectives, on pourrait nous donner des pouvoirs de prescription, affirme Mme Desrosiers. Je n'aime pas me positionner dans des revendications controversées, mais si ça continue, je vais me retourner et je vais dire qu'on veut prescrire. Parce qu'il y a plein d'exemples où on pourrait faire plus. Dans les urgences, entre autres, les infirmières pourraient envoyer directement les patients en radiologie. Mais avec les directives envoyées aux directions d'établissement de réduire les budgets, on est loin de se demander ce que les infirmières peuvent faire de plus.»

Au ministère de la Santé, il n'a jamais été question jusqu'à maintenant d'accorder des pouvoirs de prescription aux infirmières. Au cours des dernières années, le ministre de la Santé a mis une bonne partie de son énergie à convaincre les médecins d'intégrer des infirmières-praticiennes qui, elles, ont la possibilité de prescrire. Un dossier qui avance, mais à pas de tortue, avec l'objectif d'avoir 500 infirmières praticiennes dans le réseau d'ici 2017. En Ontario, il y en a bien au-delà de 2000.

-Une idée de Francine Laplante

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