Depuis deux ans, la Dre Marie-Ève Morin, spécialiste en toxicomanie, offre une formation sur les opiacés sur ordonnance intitulée «Quand docteur rime avec pusher». Loin de vouloir jeter tout le blâme sur les médecins qui prescrivent des antidouleurs, la Dre Morin veut simplement faire prendre conscience à la communauté médicale des dangers de l'abus de ces produits.

Car quand vient le temps de prescrire ou non un médicament antidouleur, les médecins sont placés devant un choix déchirant: le prescrire et soulager quelqu'un au risque de fournir de la drogue à un toxicomane, ou ne pas le prescrire et risquer de faire souffrir inutilement un patient. «Les médecins évaluent leurs patients au mieux de leur connaissance. C'est dur», affirme la Dre Morin.

En août 2010, des lignes directrices ont été publiées au Canada pour aider les médecins à faire un emploi sécuritaire et efficace de ces substances. «Mais il reste que quand on est assis devant un patient, ce n'est pas toujours évident, note la Dre Morin. La douleur, ça ne se mesure pas. On ne peut pas faire une prise de sang pour savoir si le patient a vraiment mal ou pas.»

Le fait que les médecins aient des horaires très chargés et très peu de temps à accorder à chaque patient, surtout en clinique sans rendez-vous, ne facilite pas le contrôle des prescriptions d'opiacés.

Conseiller au Centre de recherche et d'aide pour les toxicomanes, le Dr Pierre Lauzon explique qu'il y a eu «beaucoup de réflexion sur la gestion de la douleur au cours des dernières années». «Le milieu médical s'est beaucoup fait reprocher de ne pas en faire assez pour soigner la douleur. On dit qu'il faut diminuer la douleur. Les prescriptions à cet effet ont beaucoup augmenté, dit-il. Les effets sont positifs sur les patients souffrants. Mais ça fait qu'il y a plus de ces produits en circulation.»

Comment détecter les médecins qui prescrivent abusivement des opiacés? Selon la porte-parole du Collège des médecins, des inspections professionnelles ont lieu. On dresse également une liste des médecins prescrivant des opiacés. «On peut voir qui prescrit trop», dit Mme Labranche. Mais au cours des 15 dernières années, un seul médecin s'est fait radier pour avoir prescrit des opiacés de façon intempestive.

Solutions difficiles

De l'avis de tous, il est difficile de mettre fin à l'abus d'opiacés sur ordonnance. L'été dernier, Sécurité publique Canada a tenu un atelier intitulé «L'usage illicite de produits pharmaceutiques». Dans le compte rendu, on écrit que «le fait qu'il est possible d'avoir légalement en sa possession des médicaments d'ordonnance pose des difficultés déterminantes aux autorités d'application de la loi enquêtant sur la distribution à des fins criminelles». «Si on a l'héroïne sur soi, on peut se faire arrêter. Mais si on a des médicaments, on ne peut pas!», illustre la Dre Morin.

Certaines initiatives existent pour décourager les abus. À Montréal, des patients peuvent s'inscrire au système Alert, selon lequel ils consentent à ne consulter qu'un seul médecin pour leurs prescriptions d'opiacés et à ne fréquenter qu'une seule pharmacie. «Quand un patient s'inscrit, toutes les pharmacies du Québec sont informées. Il ne peut acheter des opiacés qu'à cet endroit. Ça facilite le contrôle. Mais ça se fait sur une base volontaire», explique la Dre Morin.

Selon elle, l'arrivée de prescriptions électroniques limiterait au moins les possibilités de falsification d'ordonnance et de vol de bloc de prescriptions.

Quand le dossier patient informatisé sera implanté partout au Québec, les patients ne pourront également plus se procurer plusieurs prescriptions d'opiacés auprès de différents médecins. «Mais sinon, une campagne de prévention auprès des médecins aiderait, plaide la Dre Morin. Ça prend une prise de conscience. Le but n'est pas de limiter toutes les prescriptions d'antidouleurs, parce que c'est parfois nécessaire. Mais comme on a des colloques sur la gestion de la douleur, on doit avoir des ateliers sur le sujet. Ça ne sert à rien de se mettre la tête dans le sable.»