Durant six mois... moins un jour, le Dr Marc Dauphin a été chef du triage dans un hôpital militaire de Kandahar. Il soignait des blessés graves 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. «Des tueries Dawson, on en avait une bonne douzaine par mois, dit-il, pour illustrer ce qu'il a vécu. Tous mes confrères sont revenus affectés.»

Le Dr Dauphin ne se souvient pas d'un cas qui l'aurait affecté plus qu'un autre, mais de la quantité. Au moins 1200 blessés graves. Des enfants défigurés par une roquette. Des membres arrachés. Du sang partout, des entrailles répandues. Et des journées sans dormir, à carburer à l'adrénaline.

«C'est ce qui me tenait, dit-il. J'étais devenu dépendant à l'adrénaline. J'allais en hélicoptère chercher des blessés à travers les tirs des talibans. À la fin, plus rien ne m'atteignait, j'étais coupé de mes émotions.»

De retour au Québec, il n'a même pas cru bon de prendre congé. Il n'a parlé à personne, sauf à ses camarades militaires, de ce qu'il avait vécu. Mais sa santé mentale était gravement atteinte. Il a commencé à mal dormir, à avoir des cauchemars, à avoir des pensées paranoïdes. Il souffrait d'un grave choc post-traumatique.

«Quand je traversais un pont en auto, je baissais les vitres en me disant que, si l'auto plongeait dans l'eau, le système électrique ne fonctionnerait plus pour les baisser. Je pensais aux possibles tirs quand il y avait trop de fenêtres dans les endroits publics. J'ai même pensé à mettre des sacs de sable pour sécuriser une maison.»

Le cas du Dr Dauphin est extrême, mais la Dre Muriel Mury, psychiatre spécialiste des chocs post-traumatiques, explique que les médecins sont très susceptibles d'en être atteints. Elle a raconté l'histoire de deux de ses patients, dont celle de Jean-Pierre, médecin résident en pédiatrie qui avait remporté plusieurs prix.

«Sans pouvoir vraiment l'expliquer, il s'est mis à ne plus être capable de pratiquer. Dans le milieu, on disait qu'il n'était tout simplement plus bon. Mais c'est une simple question qui m'a fait comprendre qu'il souffrait d'un choc post-traumatique, explique la Dre Mury. Je lui ai demandé pourquoi il avait choisi la pédiatrie. Et il m'a répondu: «Parce que les enfants ne meurent pas.»»

Or, en moins de quelques semaines, ce médecin avait perdu deux jeunes patients tragiquement. Qui plus est, l'une des familles avait fait une crise. Il n'en fallait pas plus pour que Jean-Pierre plonge dans un choc post-traumatique: honte, désespoir, anxiété, culpabilité. Évitement, repli sur soi-même, arrêt de travail. Insomnie, côlon irritable, tension musculaire, fatigue, crises de panique. Le choc post-traumatique peut mener au suicide.

«Le choc post-traumatique, c'est la médecine de l'innommable, précise la Dre Mury. C'est encore très sous-diagnostiqué, et il y a davantage de tabous que pour la dépression.»

Si le choc post-traumatique peut toucher tout le monde, c'est particulièrement vrai pour les médecins. Et le problème, avec eux, explique la spécialiste, c'est qu'ils restent exposés à la mort, au sang, à des poursuites aussi. «On a une impression d'impuissance et de perte de maîtrise. Pour les médecins, c'est difficile de consulter, il y a les risques de sanctions. Nous, les médecins, sommes pourtant des êtres humains. Nous sommes faillibles, et il faut l'accepter.»