Des bénéfices en hausse de 200%. Des marges de profit qui frôlent les 70%. Des actionnaires qui se votent un nouveau dividende pendant que l'action double en Bourse en quelques mois. Groupe Opmedic, une entreprise privée qui offre des traitements de fertilité, fait des affaires d'or depuis que Québec les paie aux couples et femmes infertiles de la province.

Elle n'est pas seule. Selon des estimations effectuées par La Presse à partir de données obtenues en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, les quatre cliniques privées qui participent au programme provincial reçoivent la part du lion de l'argent dépensé par Québec.

Rappelons que Québec offre les traitements de fertilité aux patients québécois depuis le 5 août 2010. Au cours des sept premiers mois du programme, la facture pour les contribuables québécois s'est élevée à 15,5 millions. Or, selon nos estimations, au moins les deux tiers de cette somme ont été accaparés par les cliniques privées, soit davantage que ce que les médecins ont reçu en rémunération.

Outre Opmedic, propriétaire des cliniques Procrea (un établissement à Montréal et un à Québec), la clinique Ovo et le Centre de fertilité de Montréal participent aussi au programme de Québec. Le cas d'Opmedic est cependant intéressant puisque l'entreprise est cotée en Bourse. Ses résultats financiers, publics, offrent donc une fenêtre qui permet de voir où aboutissent les fonds publics.

Profits en hausse de 200%

Au cours des trois derniers trimestres, Opmedic a vu ses profits bondir de 202% par rapport à un an auparavant. La locomotive de cette croissance est la division «services de fertilité», qui a généré des marges de profit de 69%.

Comment justifier une marge de 69% obtenue à même des fonds publics?

Jean-Marc Lachance, chef de la direction financière d'Opmedic, explique que la division «services de fertilité» ne carbure pas qu'avec l'argent du gouvernement. Elle inclut aussi d'autres activités, par exemple des examens qui sont facturés directement aux patients.

«Les marges sur certaines activités sont très, très élevées, dit-il. On a des activités qui dégagent des marges quasiment astronomiques, indécentes. Mais ce n'est pas la fertilité.»

M. Lachance estime que Québec «paie un juste prix» pour les traitements de fertilité. À preuve, il fait remarquer que les marges de profit de la division étaient déjà supérieures à 60% quand c'était les patients, et non Québec, qui payaient les traitements.

Robert Sabbah, président de l'Association des obstétriciens et gynécologues du Québec, estime qu'il faudra départager les activités assumées par Québec de celles payées par les patients avant de conclure que les marges des cliniques sont trop élevées. Il admet cependant que des marges de profit de 69% générées avec des fonds publics seraient inacceptables.

«Moi, je trouve ça élevé. Si les chiffres que vous me mentionnez sont exacts, je trouve ça trop élevé pour le réseau public», a-t-il convenu.

«Comme un McDonald's»

Il faut savoir que le gouvernement ne paie pas directement les cliniques pour les traitements de fertilité, mais bien les médecins qui pratiquent les actes. C'est une négociation entre Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) qui a permis de fixer les tarifs.

Québec verse cependant beaucoup plus à un médecin qui pratique dans une clinique privée qu'au sein du seul établissement public à participer au programme (le Centre universitaire de santé McGill).

Un médecin qui effectue une fécondation in vitro dans le public, par exemple, recevra 350$, contre 4600$ s'il pratique dans le privé. La différence s'explique par le fait que le médecin qui travaille dans le public peut utiliser gratuitement les infrastructures et le personnel du réseau public. Celui qui pratique dans le privé négocie avec la clinique pour utiliser ses installations, en échange d'une partie de sa rémunération.

La somme versée aux médecins qui pratiquent dans le privé a été négociée sur la base de l'affluence qui existait dans les cliniques privées avant l'annonce de Québec, quand les patients devaient payer les traitements de leur poche.

Depuis, évidemment, la demande a explosé.

«Depuis que c'est gratuit, c'est un peu comme un McDonald's. Si vous triplez le volume, les profits augmentent pour les cliniques», dit le Dr Sabbah.

Jean-Marc Lachance, d'Opmedic, admet que son entreprise n'a pas eu à investir beaucoup pour bénéficier de la manne de patients amenés par la gratuité du programme de fertilité.

«On avait déjà deux salles d'opération, dont l'une n'était presque pas utilisée. Alors, on a pu doubler nos activités sans que ça nous coûte cher. C'est sûr que maintenant, on fait des économies d'échelle», dit-il.

À Québec, le ministère de la Santé et des Services sociaux explique que les tarifs versés aux médecins seront bientôt revus.

«Les coûts seront réévalués au premier anniversaire du programme. C'est donc un exercice qui sera fait prochainement, et avec l'objectif de minimiser les coûts», précise Mme Lévesque.

Le Ministère précise aussi qu'il cherche à diminuer son recours aux cliniques privées en rapatriant les deux tiers des cycles de fécondations dans le réseau public d'ici 2014-2015.

«Soyez assurés que le Dr Barrette (de la Fédération des médecins spécialistes), moi, les actuaires du gouvernement surveillons les chiffres de très près. Si les marges sont trop élevées, ça ne restera pas comme ça», promet aussi le Dr Sabbah.

- Avec la collaboration de William Leclerc et Pierre-André Normandin