Quand Gondiel Ka s'est rendu à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR) en août 2008 pour assister à la naissance de son troisième enfant, il ne se doutait pas que, quelques heures plus tard, il devrait acheter un cercueil pour sa femme.

Montréalaise originaire du Saguenay, Christine Sasseville, 38 ans, est morte dans des circonstances troublantes peu après son accouchement. En 2010, un rapport du coroner et un autre du protecteur du citoyen ont conclu que cette mort «aurait pu être évitée». Au début du mois de février, l'une des infirmières qui ont soigné Mme Sasseville à l'HMR a reconnu avoir fait preuve de négligence devant le comité de discipline de son ordre.

«Je ne pensais pas que ça pouvait arriver. J'ai juste amené ma femme accoucher! C'est tellement triste», dit Gondiel Ka. Déjà père de deux enfants, Ali et Amy, M. Ka partageait sa vie avec Mme Sasseville depuis plus de 20 ans et devait assister à la naissance de son dernier fils, Dempa, le 12 septembre 2008.

Mais dès le 13 août, sa conjointe a commencé à avoir des contractions. Elle s'est présentée à l'HMR, où un test de prééclampsie s'est révélé positif. L'éclampsie est une complication grave qui amène certaines femmes à avoir des convulsions durant l'accouchement.

L'équipe soignante de l'HMR a donc décidé de provoquer l'accouchement de Mme Sasseville le jour même, au plus tard le lendemain. Comme il n'y avait pas de place pour elle en salle d'accouchement, on l'a placée à l'étage postpartum pour la nuit. Durant la nuit, la tension artérielle de Mme Sasseville n'a été notée qu'une seule fois, peut-on lire dans un rapport du protecteur du citoyen, et ce, même si la patiente avait des nausées. Le lendemain matin, la tension artérielle de Mme Sasseville était très élevée.

Erreur de traitement

Son état a dégénéré rapidement. Aux prises avec de violentes douleurs, Mme Sasseville a été mise sous morphine et amenée à la salle d'accouchement à 10h. Dans son rapport, la coroner Catherine Rudel-Tessier note qu'il s'est écoulé 90 minutes entre la visite du médecin à l'étage postpartum et le déplacement de Mme Sasseville à la salle d'accouchement.

L'accouchement a été pénible. La patiente vomissait à chaque contraction. Dempa est finalement né à 16h. Mme Sasseville était dans le coma. À 22h30, sa mort a été constatée aux soins intensifs. On a déterminé qu'une hémorragie cérébrale massive en raison d'une prééclampsie en était la cause.

Un rapport incident-accident rédigé par l'HMR dans les jours suivants a confirmé que la mort de Mme Sasseville était due à une erreur de traitement et que l'équipe soignante avait omis d'appliquer le protocole prééclampsie. Selon la coroner, Mme Sasseville «n'a pas eu tous les soins que nécessitait son état». «Les médecins ont sous-estimé l'importance de la tension artérielle et n'ont pas réagi assez vite». «On peut se demander si une césarienne pratiquée dès le 13 août aurait pu la sauver», écrit la coroner.

Le protecteur du citoyen note également qu'une candidate à l'exercice de la profession d'infirmière était responsable de Mme Sasseville dans la nuit du 13 au 14 août et que les notes quelle a prises étaient insuffisantes. Le protecteur juge que l'accompagnement professionnel de la candidate infirmière a «manqué de rigueur». «Votre conjointe aurait dû bénéficier d'une surveillance plus rigoureuse», écrit le protecteur.

Depuis cet incident, l'HMR a adopté un plan d'action pour éviter qu'un tel incident ne se reproduise. La formation des infirmières est notamment visée. On a aussi revu les mesures de prise en charge de la prééclampsie selon le rapport du protecteur du citoyen. En janvier 2010, Gondiel Ka a intenté une poursuite de 3,9 millions de dollars contre l'HMR.

Au début du mois, Marie-Claire Boivin, qui a soigné Mme Sasseville, s'est reconnue coupable de négligence devant le comité de discipline de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ). La secrétaire du comité de discipline, Anne-Sophie Jolin, explique que la sanction sera déterminée au terme de quatre jours d'audience prévus en avril.

Quant à M. Ka, il explique vouloir informer les femmes du Québec de son histoire. «Je pense qu'au XXIe siècle, des histoires comme la mienne ne devraient pas arriver», dit-il.

M. Ka reconnaît éprouver encore «beaucoup de colère» quand il pense aux événements. «Je n'accuse personne. Mais je sais que ma femme n'a pas eu les soins dont elle avait besoin», affirme-t-il. Même si la tragédie remonte à 2008, M. Ka explique que ses enfants, âgés de dix-neuf, quinze et deux ans et demi, vivent encore dans la douleur. «Ils ont des troubles d'adaptation. Aucun enfant ne devrait être privé de sa mère comme ça. Si elle était morte de façon naturelle, ça aurait été plus facile à accepter. Mais là, c'est difficile.»