Les Québécois attendent de moins en moins longtemps pour passer sous le bistouri, selon les dernières données du gouvernement, mais la situation demeure problématique dans certaines régions pour les opérations de la hanche, du genou et de la cataracte. C'est particulièrement vrai dans les régions de Montréal, de Laval, des Laurentides, de l'Outaouais, de la Côte-Nord et de l'Abitibi-Témiscamingue. Les patients doivent souvent attendre plus de six mois avant de se faire opérer, quand ce n'est pas un an, voire trois.

Malgré tout, le ministre de la Santé, Yves Bolduc, estime que la province s'en sort «très bien» avec 9 patients sur 10 (93 %) qui obtiennent leur opération en moins de 6 mois. Il entend par ailleurs ouvrir d'ici à quelques semaines des postes de spécialiste dans les régions problématiques, notamment dans les Laurentides, où il n'y a que 7 ophtalmologistes pour 500 000 habitants. «Il en faudrait 12», a dit le ministre. Mais afin de vraiment réduire l'attente en chirurgie non urgente, le ministre voudrait que les spécialistes divulguent leur liste d'attente. Ainsi, les patients sauraient quel rang ils occupent sur la liste et pourraient se tourner vers un autre hôpital.

«Les spécialistes ne sont pas chauds à l'idée, a prévenu le ministre Bolduc, lors d'un entretien avec La Presse. Mais à l'heure actuelle, les patients ne savent pas combien de temps ils attendent. Nos données démontrent que moins de 3 % des patients acceptent une deuxième offre (avec un autre chirurgien). S'ils savaient où ils se situent sur la liste, peut-être qu'ils accepteraient de se faire opérer par un autre chirurgien dont la liste d'attente est moins longue. Ça se fait déjà en Saskatchewan, et ça fonctionne très bien. «

Selon le Dr Bolduc, au moins 70 des quelque 2000 chirurgiens de la province ont des listes d'attente trop longues. Parmi eux, de 30 à 40 auraient entre 100 et 300 patients sur leur liste, ce qui équivaut à des temps d'attente de 1 à 3ans, dit-il. Il ajoute que 109 000 patients sont sur une liste d'attente et que, chaque année, l'attente est d'au moins 6 mois pour environ 20 000 personnes. En date d'hier, a-t-il enfin précisé, 7016 patients étaient sur une liste d'attente depuis près de 2 ans et 561 patients depuis 3ans et plus.

Les médecins «insultés»

Joint par La Presse, le président de l'Association québécoise des chirurgiens, le Dr Roger Grégoire, trouve «insultant» que le ministre Bolduc jette le blâme sur les chirurgiens : «Le ministre est doté d'une loi avec laquelle on se fait écoeurer, a-t-il tranché. Cette loi prévoit une deuxième offre ailleurs quand les délais sont trop longs. Moi, ce que je peux vous dire, c'est que j'ai une secrétaire qui gère à temps plein notre liste d'attente, à mes cinq collègues et moi. Et des refus, elle en reçoit systématiquement, tous les jours.»

Le Dr Grégoire explique par exemple que l'un de ses patients doit perdre 30 kg avant de pouvoir être opéré sans danger. «Il est donc fort probable que ce patient attende au moins trois ans.» Il ajoute qu'il y a aussi les personnes qui ne veulent pas être opérées durant l'hiver parce qu'elles le passent dans le Sud. Bref, les prétextes des patients sont nombreux pour reporter une opération, soutient-il.

«Les patients aussi ont leurs responsabilités. Mais vous savez, quand nous étions en pleine crise, il y a quelques années, le Ministère a fait la tournée des hôpitaux pour ouvrir plus de temps dans les blocs opératoires. Et on n'a rien fait depuis. Ce que je dis, c'est qu'il n'y a aucune planification, au gouvernement. On y va à la petite semaine. Et il faut absolument arrêter de tout mettre sur le dos des médecins.»

Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades, se range pour sa part du côté du ministre Bolduc. «C'est clair que le Dr Barrette va dire que c'est trop compliqué, mais c'est une bonne idée. Il faut que les spécialistes rendent des comptes. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire et offrir une opération ailleurs quand l'attente est trop longue, dans un rayon qui respecte évidemment le lieu de résidence du patient.» À la Fédération des médecins spécialistes du Québec, on a expliqué que le président, Gaétan Barrette, était retenu toute la journée par des obligations. Sa réaction risque de se faire entendre aujourd'hui.