Le Québec a gagné deux fois plus de médecins qu'il n'en a perdus au profit de la France depuis l'entrée en vigueur de l'entente sur la mobilité de la main-d'oeuvre, il y a un an. On est loin, pour l'instant, du déficit que certains appréhendaient.

Des médecins français dénoncent toutefois les obstacles auxquels ils se heurtent dans le processus de reconnaissance de leurs compétences.

D'après des données toutes fraîches obtenues par La Presse, 15 médecins français - 7 spécialistes et 8 généralistes - ont obtenu un permis de pratique au Québec au cours de la dernière année. Douze travaillent dans des établissements à l'heure actuelle, estime le Collège des médecins.

De son côté, le Conseil national de l'Ordre des médecins de France a indiqué que, en date du 8 janvier, six médecins québécois ont obtenu un permis. Il n'a pu préciser s'ils travaillent en France en ce moment ni combien de Québécois ont soumis une demande jusqu'à présent.

Quelque 90 médecins français ont fait une demande auprès du Collège des médecins depuis la signature, le 27 novembre 2009, de l'accord visant à faciliter la reconnaissance mutuelle des compétences des médecins. De ce nombre, 75 (30 spécialistes et 45 médecins de famille) ont remis un dossier complet; les 15 autres sont en train de le compléter. Le Collège des médecins a rejeté trois dossiers.

Le médecin français qui veut travailler ici doit se soumettre à un «stage d'adaptation» de trois mois en milieu hospitalier suivi d'une évaluation. S'il passe le test, il reçoit un permis restrictif qui l'autorise à exercer dans un établissement seulement - hôpital, CLSC ou CHSLD. Au bout de cinq ans, il pourra ouvrir son propre cabinet, par exemple.

Onze médecins de famille et quatre spécialistes sont en stage à l'heure actuelle. Et 36 autres - 19 médecins de famille et 17 spécialistes - sont en attente. Le délai d'attente moyen est de «trois à six mois», a dit Ernest Prégent, directeur adjoint des études médicales au Collège des médecins.

Le Dr Prégent explique ce délai par l'augmentation des cohortes étudiantes au cours des dernières années. Il y a en conséquence plus de demandes de stage en milieu hospitalier agréé.

Bien entendu, les 15 médecins français qui ont obtenu leur permis ont réussi leur stage. Or, cinq médecins de famille y ont échoué. C'est le cas de Christophe Jeay, qui habite à Magog et a fait son stage à Sherbrooke. Un stage obtenu non sans peine, car «ça bloque de tous les côtés», a-t-il dit.

Habitué d'exercer dans un cabinet en France, il n'a pas réussi à s'adapter au travail à l'hôpital. Il déplore que le Collège oblige les Français à pratiquer dans un établissement plutôt qu'en cabinet, surtout au moment où bien des Québécois n'ont pas un médecin de famille.

«Les besoins en médecine familiale sont principalement liés à des activités qui sont dans les établissements. C'est aussi une occasion de s'habituer au système», a rétorqué Ernest Prégent.

Pour le moment, le Dr Jeay travaille «un mois par-ci par-là» à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il a demandé l'aide de l'hôpital de Magog, qui, selon lui, tente de convaincre le Collège des médecins de lui permettre de pratiquer à Stanstead, où il n'y a pas de généraliste.

Le «corporatisme» du Collège des médecins dénoncé

De son côté, le Dr Jean-Louis Brunier a réussi son stage à l'hôpital Louis-H.-LaFontaine, où il travaille depuis. «J'ai trouvé mon stage moi-même, car on n'arrivait pas à m'en fournir un», déplore cet omnipraticien. Il dénonce un «deux poids, deux mesures»: les médecins québécois n'ont pas à subir une évaluation en France. Ils n'ont qu'à soumettre une demande à l'Ordre des médecins. Celui-ci fait ensuite une recommandation au ministère de la Santé, qui délivre un permis sans condition.

Pour justifier le stage d'adaptation suivi d'une évaluation, «on dit que le médecin français doit être au niveau d'un résident qui sort des études. Moi, je voudrais bien qu'on teste tous les médecins québécois pour voir s'ils sont de ce niveau-là...» a laissé tomber le Dr Brunier. Selon lui, malgré l'entente France-Québec, «il y a vraiment un parcours du combattant en matière de formalités».

François Lubrina, conseiller élu de l'Assemblée des Français à l'étranger, dénonce le «corporatisme» du Collège des médecins. Il demande au gouvernement Charest un amendement au Code des professions. «On se retrouve dans une situation surréaliste où la France autorise facilement les Québécois à exercer pleinement en France, mais par contre les Français sont soumis à des évaluations au Québec. Et ils sont obligés d'attendre des années pour pouvoir exercer à leur guise. Il faudrait que les ordres professionnels cessent de donner les permis d'exercice. Ce devrait être la tâche du gouvernement, dans l'intérêt de la population québécoise», qui a besoin de plus de médecins, a-t-il expliqué.

Selon Ernest Prégent, le Collège des médecins «a essayé de faciliter le plus possible» le processus. Les stages d'adaptation sont nécessaires pour «assurer la sécurité des patients», a-t-il ajouté.