Des victimes d'erreur de diagnostic de cancer du sein demandent au ministère de la Santé d'instaurer un contrôle de qualité plus rigoureux du programme de dépistage précoce du cancer du sein.

Deux de ces victimes ont déjà intenté des poursuites contre autant de radiologistes, qui n'ont pas détecté, à plus d'une reprise, un cancer que d'autres radiologistes ont pourtant bien vu à la relecture de leurs examens radiologiques.

«Tous les traitements que j'ai aujourd'hui -ça fait un an et demi et je suis encore en traitement- je n'aurais pas eu ces traitements en 2005, parce qu'il n'y avait qu'une calcification», a indiqué avec émotion, mercredi en conférence de presse, l'une de ces victimes, Louise Barrette.

Elle s'était fait dire par son radiologiste à la clinique Radiologie Fabreville, dès juin 2005, que tout était normal et, à nouveau en avril 2009, malgré le fait qu'elle avait détecté une masse dans son sein gauche. Heureusement, son médecin de famille l'a envoyée pour une biopsie diagnostique le mois suivant. Résultat: cancer au stade 2.

«Nous avons fait relire les radiologies par un autre radiologiste et il a vu tout de suite que j'avais quelque chose dès 2005», a dit Mme Barrette.

L'avocat qui représente ces victimes, Me Jean-Pierre Ménard, note que ces deux poursuites pourraient être suivies d'une troisième prochainement et que son bureau étudie présentement une quinzaine de dossiers du même genre.

«Nous avons assisté depuis quelques mois à une recrudescence importante de clients qui nous sollicitent pour des histoires de mammographies manquées avec la conséquence, dans tous les cas, que les cancers ont été diagnostiqués à un niveau beaucoup plus avancé, ce qui évidemment influence directement le pronostic de survie des patientes, a-t-il dit. Dans certains cas, le délai a même entraîné le décès des personnes.»

Me Ménard reproche au ministère d'avoir laissé tomber ses responsabilités face au Programme québécois de dépistage du cancer du sein et au Collège des médecins de donner l'impression de protéger davantage ses membres que le public.

La Dre Marie Rochette, responsable du Programme québécois de dépistage du cancer du sein au ministère de la Santé, a affirmé que des améliorations avaient été ajoutées au programme, «particulièrement dans la dernière année», et que les travaux en ce sens se poursuivaient.

Mme Rochette a dit vouloir éviter le plus possible de tels drames avec le programme de dépistage.

Elle a souligné que le nombre de mammographies s'était accru de 172 000, en 2001, à environ 300 000 cette année, et que les délais d'attente étaient longs dans certains secteurs.

La mise en place de vérifications aléatoires fera partie des réflexions avec le Collège des médecins, a-t-elle reconnu.

Concernant la formation des spécialistes, elle a fait valoir l'exigence sur le volume minimal de mammographies par année, qui peut représenter une forme de garantie de la qualité de la pratique.

Me Ménard rappelle que le ministère s'était engagé à assurer un contrôle de la qualité en lançant le programme en 1998, qui devait notamment comporter une relecture des mammographies et un contrôle de la formation des médecins. Or, 12 ans plus tard, il dit constater que seuls les équipements font l'objet d'un contrôle de qualité.

«Le ministre s'en remet au Collège des médecins. Le Collège des médecins ne fait pas partie, dans le plan de 1998, des mécanismes de contrôle de la qualité. Il a un rôle à jouer là-dedans, mais le rôle premier est au ministère et le ministère a carrément abdiqué, ne prend pas ses responsabilités. C'est clair qu'il n'y a pas de leadership de la part du ministre à cet égard», a reproché l'avocat spécialiste des causes médicales.

Me Ménard se dit par ailleurs fort conscient des limites de l'action judiciaire.

«Il y a un problème de fond et ce ne sont pas les tribunaux qui vont le régler et ordonner la mise en place d'un système de contrôle de qualité, a-t-il dit. C'est une décision administrative, professionnelle et politique qui doit être prise par les autorités concernées.»

Il invite le ministre de la Santé, Yves Bolduc, à laisser de côté son discours d'apaisement.

«Il y a quelques semaines, le ministre a rassuré la population en disant que nous avons un bon système de surveillance et qu'il était très rassuré que le Collège a très bien fait sont travail. Eh bien non! Il n'y a rien de rassurant dans ce qu'on voit maintenant», a dit Me Ménard.

Saisi de plaintes des victimes, le Collège a de son côté refusé de sanctionner les radiologistes en défaut, même s'il reconnaît qu'il y a eu manquement puisqu'il s'est entendu avec les deux radiologistes en question -ainsi qu'avec un troisième faisant l'objet de plaintes- pour que ceux-ci cessent de pratiquer des mammographies. Ce retrait laisse Me Ménard perplexe.

«Pourquoi est-ce que le médecin arrête complètement de faire cette pratique sur une plainte? Est-ce que c'est parce que cette plainte révèle des lacunes en termes de connaissances, de compétence, de qualifications? On ne le sait pas», a dit l'avocat.

Le Collège a aussi refusé de procéder à une relecture des examens passés des deux radiologistes poursuivis.

Le Dr Yves Robert, Secrétaire du Collège des médecins, a fait valoir qu'une relecture des mammographies ne pouvait pas être ordonnée en se basant seulement sur une plainte. Le syndic peut réclamer une évaluation professionnelle, ce qui n'a visiblement pas été le cas dans ces dossiers, a-t-il souligné.

M. Robert estime qu'un lien direct ne peut pas être fait entre la cessation de pratique des radiologistes concernés et leur compétence. Il peut très bien s'agir de cas isolés, a-t-il fait valoir.

M. Robert soutient qu'il faut laisser les poursuites suivrent leur cours avant de sauter aux conclusions.

«Me Ménard crée des amalgames entre trois cas, a-t-il affirmé. Il n'a (certainement) pas toute l'information sur l'ensemble de l'exercice de ces spécialistes, et s'il l'avait, son jugement serait peut-être différent. C'est son droit de faire une sortie publique pour créer une alerte autour de ça, nous on a des informations additionnelles qui nous permettent de porter des jugements sur nos membres.»