Les étudiants acceptés dans les facultés de médecine du Québec ont souvent des moyennes générales de 90%. Ils sont jeunes, brillants, allumés, ambitieux: la crème de la crème. L'erreur n'est pas tolérée dans leur univers. Mais sont-ils en santé? Séjour aux urgences en compagnie d'une résidente en médecine.

Le poste de travail des médecins est aussi chaleureux que la salle d'attente des urgences. Même couleur. Même ambiance. Aucune fenêtre sur l'extérieur. La lumière jaunâtre des néons tranche avec les blouses bleues du personnel médical.

Des dossiers de patients sont alignés sur le comptoir. Sur un papier, un gros numéro indique dans quelle salle le patient attend.

Sophie Richard, médecin résidente en fin de cycle, m'explique qu'elle s'occupe aujourd'hui des patients qui arrivent en ambulance. S'il n'y en a pas, elle voit ceux qui attendent dans la salle. Il est 8h30. Elle est arrivée à l'hôpital vers 6h30 afin d'assister à un cours théorique.

Aujourd'hui, son quart va se terminer vers 16h, à moins d'une urgence. «Une petite journée», dit-elle. Elle en a fait 12 comme celle-là depuis trois semaines, soit 32 heures de consultation aux urgences par semaine, en plus d'une journée de clinique, des cours, de la lecture et des travaux. En moyenne, les médecins résidents du Québec abattent des semaines de 60 à 75 heures, parfois 100 heures de travail. Avec des tours de garde obligatoires de 24 heures dans les spécialités.

Tout le monde marche vite dans le poste, mais silencieusement grâce aux semelles caoutchoutées. Les médecins passent leur temps à remplir des feuilles: blanche pour le dossier du patient, rose pour tel examen, jaune pour tel autre. La patronne de Sophie, une omnipraticienne qui en a vu de toutes les couleurs, écrit frénétiquement tout en l'écoutant tracer le bilan de sa consultation avec un bébé de sept mois arrivé en ambulance.

La maman a raconté que sa petite fille allait bien la veille, mais que, ce matin, elle s'était mise à tousser. Pas une toux sèche, une toux profonde comme si elle allait s'étouffer. Durant au moins 30 secondes.

Pendant le récit, le bébé dort sans le moindre mouvement dans les bras de sa mère. La femme continue en expliquant que les lèvres de son bébé sont devenues bleues, sa peau, moite au toucher. «J'ai paniqué et j'ai appelé l'ambulance.»

La jeune résidente demande si le bébé a déjà été hospitalisé, comment s'est passé l'accouchement. La petite fille a-t-elle des allergies? Que mange-t-elle?

Le bébé est ensuite couché sur la table d'examen. Il pleure, enfin. L'atmosphère s'allège un peu. «C'est bon signe quand un bébé pleure, lance Sophie, tout en expliquant que le bébé a une légère otite, rien de grave, et qu'il est congestionné. «On va faire venir l'inhalothérapeute pour dégager ses voies respiratoires», dit-elle.

Retour dans le poste des médecins. Sophie se tire une chaise près de sa patronne. Pas de sourire de la part de la patronne, qui remplit un dossier. D'ailleurs, on n'a pas besoin de se tenir dans un coin du poste durant longtemps pour comprendre qu'une blague, même la meilleure, serait malvenue. Il y a un code de conduite non écrit à respecter, m'expliquera plus tard Sophie.

Sophie trace le bilan de sa consultation avec le bébé. Sa patronne lui pose une série de questions. La résidente a toutes les réponses, rien ne lui échappe. Elle avance que le bébé s'est probablement étouffé dans ses sécrétions. La patronne demande à Sophie si le bébé a fait une chute. S'est-il cogné? Frappé sur quelque chose? Seconde de silence. «Non, j'ai oublié», admet Sophie. Aucune réaction de la part de la patronne, qui explique que le bébé sera gardé en observation et vu par un pédiatre avant qu'elle-même le revoie.

Encore des dossiers à remplir. Ils sont de plus en plus nombreux à s'aligner sur le comptoir. Soudain, la patronne se lève, quitte le poste. Sophie Richard marche derrière elle. Vite. Le taux de saturation en oxygène d'une vieille dame sur une civière a chuté. Les deux femmes cherchent à savoir qui est son infirmière. La patronne parle doucement à la patiente. Son mari se tient à ses côtés, rassuré par la présence des médecins.

Dans la journée, Sophie Richard va voir entre 10 et 14 patients. Tantôt seule, tantôt avec sa patronne. Chaque fois, elle pose son propre diagnostic, qu'elle soumet ensuite pour approbation. Elle a suspecté une hémorragie interne chez une patiente. A prescrit un vaccin contre le tétanos à une autre qui s'était planté un clou dans le genou.

Aux urgences, on mange une bouchée à la sauvette quand on a le temps. On boit du café. On va rarement aux toilettes. Les patients attendent, et ils sont nombreux. Le jour de la visite de La Presse, ils étaient 70 en attente d'un médecin. Une journée normale aux urgences de ce grand hôpital de Montréal, qui compte une cinquantaine de civières.

Sophie Richard aura son diplôme de médecine familiale au mois de juin. Elle souhaite concentrer sa pratique sur l'obstétrique. Elle a toujours voulu faire de la médecine. Sa mère est infirmière, sa soeur aussi.

À la fin de son quart, Sophie remet une petite feuille blanche à sa patronne. Il y a une douzaine de points à remplir: motivation, efficacité, habileté, examen physique, collecte des données. Une grille d'évaluation. Qu'est-ce qui arrive quand le patron du jour indique que la performance est insatisfaisante? «Je ne sais pas, dit Sophie, ça ne m'est jamais arrivé.»