Le programme de gratuité de la procréation assistée est si populaire que les quotas fixés en août pour la première année seront atteints d'ici décembre dans les cliniques privées.

Cela laisse craindre des délais pour des patientes infertiles qui souhaitent avoir accès gratuitement à la fécondation in vitro (FIV) dès cette année. Et qui soulève une question dans le réseau de la santé: aura-t-on la capacité réseau de soigner ces nouveau-nés.

À la clinique Ovo, qui emploie neuf spécialistes en procréation assistée, on explique que le nombre de cycles de fécondation pratiqués chaque semaine a doublé depuis le début du programme, le 5 août dernier. En deux mois à peine, on est passé de 20 à environ 45 cycles par semaine, pour atteindre près de 300 cycles à la fin du mois de septembre, affirme la Dre Joanne Benoit, spécialiste en gynécologie-obstétrique à cette clinique.

Ovo a donc décidé de donner priorité aux patientes en fonction de leur âge. Afin de répondre à la demande, du personnel supplémentaire a été recruté pour épauler les spécialistes. Au total, une centaine de personnes travaillent maintenant au service de fécondation in vitro, a indiqué à La Presse la direction de la clinique.

«J'ai commencé à préparer des patientes au fait qu'au mois de novembre elles devront attendre à l'an prochain pour se prévaloir de la gratuité, explique la Dre Benoit. Cela crée beaucoup d'insécurité. Les demandes de première consultation sont aussi très nombreuses. Une fois qu'une patiente s'est qualifiée, elle doit attendre de trois à quatre mois avant de recevoir un premier cycle de fécondation. Il est donc maintenant question d'une attente moyenne de sept mois.»

Moratoire FIV

Lorsque le ministre de la Santé, le Dr Yves Bolduc, a lancé le programme FIV en compagnie de l'animatrice Julie Snyder, l'été dernier, il a expliqué que le gouvernement prévoyait rembourser 3500 cycles en 2010, pour un total de 25 millions de dollars. L'enveloppe budgétaire prévue devait atteindre 63 millions en 2014 pour 7000 cycles de fécondation projetés. Cette initiative avait été abondamment critiquée par les fédérations de médecins, qui estiment que, dans le contexte budgétaire actuel, il y a d'autres priorités, notamment dans les soins de première ligne.

Le Dr Robert Sabbah, président de l'Association des obstétriciens-gynécologues du Québec, estime pour sa part que, au rythme où vont les choses, on doit s'attendre à un «moratoire FIV» d'ici peu. Selon lui, plus de 1000 patientes se sont déjà prévalues du programme, qui rembourse jusqu'à trois cycles de fécondation.

«On n'a pas d'information de la part du ministre, déplore-t-il. Actuellement, on fonctionne au petit bonheur la chance. Dans un contexte où on manque de ressources et où les femmes ont peine à obtenir un suivi de grossesse, il faudrait une meilleure répartition de nos spécialistes dans les hôpitaux, dans les salles d'accouchement, et revoir le rôle des sages-femmes», dit-il.

La Dre Pascale Hamel, présidente de l'Association des pédiatres du Québec, est d'accord pour dire qu'on fonctionne à «l'aveuglette». Elle fait remarquer que ce n'est pas pour rien qu'on a mis fin au programme au Danemark. Elle craint par ailleurs une hausse du nombre de naissances et s'inquiète de la capacité du réseau à soigner ces nouveau-nés. Elle réclame sans succès un registre afin de répertorier les FIV et les naissances qui en découleront.

«Le gouvernement a fait un gros travail en ciblant des centres pour les soins tertiaires en néonatalogie, explique-t-elle. Mais la situation demeure critique. Je suis aussi inquiète de l'essoufflement des pédiatres. Dans le cas des FIV, les mamans sont souvent plus âgées et risquent davantage de souffrir d'hypertension ou de diabète. Il peut en découler des problèmes pulmonaires chez les bébés, sans oublier les grossesses multiples liées aux traitements hormonaux, qui se terminent souvent par un accouchement prématuré.»

Au ministère de la Santé, on a expliqué à La Presse qu'on n'aime pas employer le terme «quotas» pour le nombre de cycles remboursés en 2010. Mais on n'a pas été en mesure de dire si la gratuité s'appliquera au-delà de 3500 cycles de FIV. En fin d'après-midi, le Ministère a rappelé La Presse pour dire que, selon un rapport non daté, 410 cycles avaient été réalisés.

Selon la Dre Joanne Benoit, de la clinique Ovo, les premiers bébés issus du programme verront le jour au début du mois de mai. «Plusieurs dizaines de bébés», dit-elle. Dans le milieu de la santé, on ne le dit pas publiquement, mais plusieurs parlent de «bébés Snyder».