Des centaines de résidants de La Prairie sont actuellement menacés de perdre leur médecin de famille s'ils ne deviennent pas membres de la nouvelle Coopérative de solidarité santé La Prairie. D'ici au 15 octobre, ils devront payer des frais annuels de 112,88$, sans quoi ils perdront leur médecin.

«Moi, j'ai l'argent pour payer, mais certains ne l'ont pas! Je pensais que notre système de santé était gratuit... Là, j'apprends qu'on doit payer pour avoir accès à un médecin de famille», a dénoncé une citoyenne qui a joint La Presse et qui préfère garder l'anonymat.

Depuis quelques années, le concept de coopérative de santé a pris de l'ampleur au Québec: on en compte actuellement une quarantaine. Les coopératives recrutent des membres qui paient une cotisation annuelle pour avoir accès à un certain nombre de privilèges.

À La Prairie, les membres auront accès à un médecin de famille, pourront «réserver un rendez-vous dans les plages horaires à l'urgence 24 heures à l'avance par téléphone» et n'auront plus à «payer les différents frais relatifs à la clinique (photocopies, tests...)».

Les non-membres qui désireront voir un médecin devront quant à eux se «présenter le matin pour un rendez-vous en urgence, selon les disponibilités».

Dans une lettre publiée dans le dernier numéro de la revue Le Point en administration de la santé et des services sociaux, le doyen de la faculté de médecine de l'Université de Sherbrooke, le Dr Réjean Hébert, dénonce le fait que les coopératives de santé menacent le principe d'universalité des soins au Québec. «La priorité d'accès aux soins doit être déterminée par les besoins cliniques et non par la capacité du patient de payer ou d'adhérer à une organisation», écrit le Dr Hébert.

Le président de la Fédération des omnipraticiens du Québec (FMOQ), le Dr Louis Godin, explique: «On attend une réponse du ministère de la Santé là-dessus depuis longtemps. Mais quand être membre est essentiel pour avoir accès aux médecins de famille, c'est un frein majeur à l'accès. C'est problématique.»

«La seule raison qui devrait permettre à un patient de passer devant un autre est une raison médicale», affirme pour sa part le secrétaire du Collège des médecins, le Dr Yves Robert.

Grande séduction

Les coopératives de santé recrutent des médecins en leur offrant d'alléchantes conditions de travail. Par exemple, certains établissements paient le loyer et le personnel de soutien. Le Dr Hébert déplore qu'une «surenchère» digne du film La grande séduction est en train de se dérouler au Québec. «On contourne ce qui a été établi pour la répartition équitable des médecins dans les régions», dénonce-t-il.

Le Dr Godin reconnaît que les coopératives de santé se trouvent dans «une zone grise». «Il faut clarifier la situation. Actuellement, les médecins qui pratiquent en cabinet ont de plus en plus de difficulté à survivre. Leurs frais de fonctionnement sont trop élevés. Plusieurs doivent fermer leurs portes. Pour continuer d'offrir un service dans leur régions, plusieurs optent pour les coopératives. Il est temps que le gouvernement régisse cette pratique et règle les problèmes de financement des cabinets.»

Le Dr Robert partage cet avis: «En choisissant de ne rien faire, on accepte qu'un tel système s'installe, et il sera bien difficile de revenir en arrière.»

Au cabinet du ministre de la Santé, Yves Bolduc, on dit «avoir la volonté de reprendre la réflexion sur les coopératives de soins».

Le Dr Hébert croit que le gouvernement doit se prononcer rapidement. Selon lui, les coopératives de santé peuvent devenir «le cheval de Troie qui va démolir notre système de santé»: «C'est une forme de privatisation du système de santé. Une approche en douce, dotée certes de bonnes intentions, mais qui a des effets néfastes et qui prive, surtout à long terme, la population d'un accès universel et équitable aux services de santé dont elle a besoin.»