Le petit appareil, manifestement fabriqué à la main, est intrigant. Un stylo, dont la pointe a été remplacée par un trombone déplié et affûté, attaché avec du ruban gommé à un moteur de baladeur. Deux fils électriques, qu'on pose sur des piles, actionnent la machine. Avec un pot d'encre noirâtre, obtenue en faisant fondre au briquet la couleur des canettes de soda, l'appareil est prêt à vous dessiner une belle tête de mort sur l'avant-bras.

Cette petite chose est un appareil à tatouer artisanal tel qu'on en fabrique dans les prisons québécoises. Un appareil relativement efficace dans les mains d'un bon tatoueur. Efficace pour obtenir des dessins sur les bras, mais aussi pour transmettre l'hépatite C et le sida puisque le trombone ou la corde de guitare qui servent d'aiguille ne sont pas toujours changés ni nettoyés.

Le tatouage est illégal en prison, mais on saisit chaque année plusieurs appareils à tatouer dans les prisons québécoises. Les détenus sont prêts à tout pour obtenir un beau tatouage, y compris à mettre leur vie en danger. Dans la population carcérale, un détenu sur cinq est porteur du virus de l'hépatite C, et 3% des détenus sont contaminés au VIH.

Voyant l'attrait pour la pratique, le CSSS des Pays-d'en-Haut, qui fournit les services de santé à l'Établissement de détention de Saint-Jérôme, a décidé de réagir il y a huit ans. Et Jacinthe Marchand a été embauchée.

La jeune femme de 32 ans, vive et jolie, ancienne policière, porte désormais le curieux titre d'«intervenante de corridor» au centre de détention. «C'est l'équivalent d'un travailleur de rue, mais en dedans», résume-t-elle avec un grand sourire. Elle est la seule au Québec à faire ce genre de travail à temps plein dans une prison québécoise.

Jacinthe arpente donc la prison, y compris l'aile à sécurité maximum, avec son matériel. De petits pots d'eau de Javel pour désinfecter les aiguilles des fameux appareils à tatouage, mais aussi les seringues pour les usagers de drogues injectables. De l'onguent, pour refermer rapidement les plaies. Des dépliants de sensibilisation aux infections transmises sexuellement. Des jeux de cartes «à messages» conçus par l'Association des intervenants en toxicomanie.

«Récemment, plusieurs bons tatoueurs ont été incarcérés. Je l'ai vu à la demande pour l'eau de Javel. Les gars me disent que c'est pour laver leur linge, raconte-t-elle avec un sourire. Ils savent que je n'irai pas les dénoncer. Mais le message est clair: c'est illégal.»

Jacinthe Marchand donne des cours de groupe aux détenus qui arrivent. Elle reçoit aussi les détenus en entrevue individuelle. Dans son petit bureau, les durs de la prison perdent généralement leur assurance. «Les gros bums avec des tatouages, quand ils arrivent dans mon bureau, on dirait qu'ils enlèvent leurs oranges en dessous des bras», blague-t-elle.

Car, assis sur cette chaise droite, les «petits gars» apprennent parfois qu'ils sont porteurs du virus du sida. Ou qu'ils devront entreprendre un traitement éprouvant pour se guérir de l'hépatite C.

L'infirmière Louise Arpin, qui réalise les tests de dépistage, est la partenaire de Mme Marchand dans le projet. «Quand on donne les résultats et que tout est beau, ils poussent un très grand soupir. Le sourire qu'ils ont...» raconte l'infirmière.

Mais quand c'est l'inverse, leur vie déjà fragile s'écroule. Et ils courent le risque d'être stigmatisés par les autres détenus. «Un gars porteur du VIH, personne ne le veut. Il y a beaucoup de préjugés. Les gars se demandent s'ils vont attraper le sida en fumant la même cigarette», souligne Jacinthe Marchand.

L'an dernier, près de 200 détenus ont rencontré Louise Arpin pour une vaccination ou un dépistage. Un grand succès. Et l'oeuvre de sensibilisation de Mme Marchand joue pour beaucoup dans ces statistiques, estime Louise Arpin. «Elle a une personnalité plus relaxe, moins médicale. Les gars sont portés à aller la voir.»

La personnalité de Jacinthe Marchand est manifeste dans le cours Initiation aux ITSS qu'elle donne aux détenus à leur arrivée. Comme cet après-midi, dans un local attenant au gymnase de la prison. «Bon, aujourd'hui, on apprend comment mettre un condom», dit-elle à la blague aux sept détenus qui s'assoient à leur pupitre. Disons que l'intérêt des gars est immédiatement décuplé.

«Il y a quelque temps, poursuit-elle, on faisait une dégustation de condoms ici. Tout le monde en mangeait. Malheureusement, on n'a plus le budget pour faire ça.» Éclat de rire général.

Assise sur un bureau, Jacinthe passera l'heure suivante à parler de vilains virus, de relations sexuelles, de tatouage et d'eau de Javel. Son discours est à des années-lumière de la langue de bois.

Une fois sorti de prison, vous voulez sniffer de façon sécuritaire? Achetez-vous des paquets de «Post-it» au magasin à 1$, explique-t-elle. Après usage, jetez: l'hépatite C se transmet souvent par les billets de banque roulés utilisés par plusieurs usagers.

Les détenus n'en reviennent pas. «Hey, une intervenante qui nous montre à sniffer!» dit l'un d'eux. «Je ne vous montre pas à sniffer, je vous montre à ne rien attraper», réplique Jacinthe du tac au tac.

Certains détenus sont manifestement secoués par ce qu'ils ont appris. «Bon, je pense que je vais aller passer le test», dit l'un d'eux. À la fin du cours, la quasi-totalité des détenus s'inscrivent au test de dépistage.