Chaque semaine, dans les services de soins intensifs du Québec, des familles et des médecins doivent prendre des décisions difficiles. Doit-on poursuivre ou cesser le traitement? Souvent, les familles hésitent. Il peut s'écouler des jours, voire des semaines avant qu'une décision ne soit prise.

«Les médecins sont confrontés à des familles pleines d'émotions. Même si, rationnellement, le médecin peut expliquer pendant des heures que les traitements sont futiles, il ne convaincra pas toujours la famille de mettre fin au traitement», témoigne le Dr Marcel Boulanger, anesthésiologiste à la retraite qui fait maintenant partie de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité.

Pendant que les familles hésitent, les patients dont l'état ne peut plus s'améliorer nécessitent de nombreux traitements. Dialyses, transfusions, respirateur artificiel... Garder quelqu'un en vie artificiellement demande beaucoup de ressources. Un lit aux soins intensifs coûte à lui seul de 700$ à 1200$ par jour en soins infirmiers. À ce coût doivent s'ajouter les frais de traitements et de médicaments. Une facture astronomique.

«On est actuellement arrivé à un point technologique où on peut maintenir la vie artificiellement pendant des années. Mais si on fait ça, on va manquer de lits et de ressources demain matin!» illustre le secrétaire général du Collège des médecins, le Dr Yves Robert.

«Pour le système de santé, ces patients gardés en vie artificiellement, c'est comme si un camion immense était immobilisé sur une autoroute, illustre le Dr Boulanger. Comme société, il faut prendre conscience que cette allocation de ressources est un problème. C'est facile de faire de la démagogie avec ça et de dire que les médecins veulent tuer les patients. Ce n'est pas ça du tout! Il faut que la société en vienne à comprendre ce que c'est, la futilité de traitement.»

Chercheur en bioéthique au Centre de recherche de l'Institut de gériatrie de Montréal, David Roy soutient que ce n'est pas aux médecins de «penser aux ressources limitées du réseau». «C'est éthiquement inacceptable de laisser un patient mourir pour faire place à un autre. Mais il y a des patients aux soins intensifs dont les chances de survie sont presque inexistantes. Dans ces cas, il faut se tourner vers les soins palliatifs plutôt que curatifs», croit-il.

Un avis que partage Jocelyne St-Arnaud, philosophe et professeure à la faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal. Mais l'accès aux soins palliatifs est difficile. «Il manque de lits, déplore Mme St-Arnaud. Il y a en moyenne de 10 à 15 lits de soins palliatifs par hôpital. Il n'y en a pas toujours en CHSLD et très peu de soins à domicile sont offerts pour ça. Actuellement, la majorité des gens décèdent à l'hôpital, dans des lits de courte durée.»

Une commission parlementaire

Les intervenants que La Presse a rencontrés dans le cadre de ce dossier se réjouissent du fait que, depuis quelques semaines, la commission parlementaire sur le droit de mourir dans la dignité a commencé à entendre des témoignages à Québec. Le Collège des médecins y a déposé un mémoire. Dans ce document, le Collège se questionne sur les soins appropriés à apporter en fin de vie.

«Actuellement, il n'y a pas de réponse. L'arrêt de traitement n'est pas illégal en soi. Mais les médecins sont laissés à eux-mêmes sur le terrain, quand vient le temps de décider. Il faut choisir socialement ce qu'on veut», estime le Dr Robert, qui précise que cette décision ne concerne pas du tout le débat sur la légalisation de l'euthanasie.

Et le temps presse, selon la présidente de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité, Hélène Bolduc. Car la population vieillit, et ce genre de situation sera de plus en plus fréquent.

Déjà, Mme Bolduc mentionne que la fin de vie des Québécois est «de moins en moins naturelle, et de plus en plus médicalisée». «On dirait qu'on ne peut plus s'éteindre doucement comme avant. Il y a de plus en plus de traitements futiles en fin de vie. Il y a de l'acharnement. Et pendant ce temps, la pression sur le monde médical est forte. Plus les gens vont se responsabiliser, plus on pourra avancer dans ce dossier rempli de nuances.»