Les délais d'attente en chirurgie cardiaque sont en train de devenir inquiétants au Québec, a appris La Presse. À Montréal, au moins 25% des patients sont actuellement opérés hors délai. La situation est alarmante, selon le président de l'Association des chirurgiens cardiaques du Québec, le Dr Yves Langlois.

En attente d'une opération depuis le mois de septembre dernier, Jean-Guy Pitre est mort, hier matin, avant d'avoir été opéré. Au début de la semaine, La Presse avait fait état du cas de ce résidant de Venise-en-Québec, dont l'état de santé dégénérait dangereusement. Hier matin, M. Pitre a perdu connaissance chez lui. Sa mort a été constatée à l'hôpital Pierre-Boucher, à Longueuil.

«C'est un scénario digne d'une république de bananes. Ce gars-là avait encore au moins 20 bonnes années à donner. C'est inacceptable de l'avoir laissé ainsi. On ne peut plus rien attendre du système de santé», dénonce Daniel Roy, un ami de M. Pitre.

Jusqu'à l'été dernier, M. Pitre, policier à la retraite âgé de 65 ans, jouait au golf et marchait 10 km par jour. Au mois de septembre, les cardiologues de l'Hôtel-Dieu du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) lui avaient diagnostiqué un problème cardiaque. La valve de l'aorte était bloquée. M. Pitre a donc été placé sur la liste d'attente pour une opération.

Depuis Noël, la famille de M. Pitre s'inquiétait de le voir dépérir. Il passait de longues journées assis dans un fauteuil. Dans les dernières semaines, il ne parvenait même plus à parler sans s'essouffler. Hier matin, il a rendu l'âme.

«Quand c'est rendu que quelqu'un a de la misère à parler sans être essoufflé, on ne peut pas lui dire d'attendre encore pour son opération! Notre système de santé ne regarde plus les humains. Il se contente de gérer de l'argent et des lits...» déplore M. Roy.

La fille de M. Pitre avait relancé plusieurs fois l'Hôtel-Dieu dans les dernières semaines pour savoir quand son père allait être opéré. Chaque fois, on lui disait que M. Pitre était en tête de liste, mais qu'on manquait de lits et de ressources pour procéder à l'intervention. Des cas plus urgents venaient aussi constamment reporter l'opération de M. Pitre.

«Les professionnels du système de santé sont très compétents. Les gestionnaires aussi. Mais ils n'ont plus les moyens de soigner. Il faut que le gouvernement ferme les yeux sur la facture et accepte de payer pour la santé. Oui, on va s'endetter. Mais veut-on voir mourir ses proches?» demande M. Roy.

Chirurgie en crise

Le Dr Langlois affirme que les listes d'attente en chirurgie cardiaque s'étaient raccourcies au cours des dernières années, mais elles ont aujourd'hui rallongé d'une manière inquiétante. «Environ 630 personnes attendent, au Québec. Ça faisait longtemps qu'il n'y avait pas eu autant de patients en attente», dit-il.

La situation est particulièrement critique à Montréal, où 25% des patients attendent depuis plus longtemps que les délais prévus. Si la liste s'allonge ainsi, c'est qu'une opération sur quatre est actuellement reportée dans la métropole.

Le Dr Langlois explique que l'une des principales raisons est la pénurie de personnel aux soins intensifs. «On manque d'infirmières aux soins intensifs. Le problème est connu. Il faut offrir de meilleures conditions à ces employées», juge-t-il. Sans accès aux soins intensifs, il est impossible d'opérer un patient cardiaque.

Aussi, la crise qui sévit depuis quelques semaines aux urgences oblige l'annulation d'interventions cardiaques. «La priorité est donnée aux patients des urgences, peu importe leur diagnostic. Donc, pour nous, c'est très difficile de faire admettre un patient pour une intervention élective, note le Dr Langlois. Il y a un manque d'accès total aux plateaux techniques.»

Qualifiant le décès de M. Pitre de «malheureux», le CHUM n'a pu commenter plus en détail ce cas, hier. «Tout ce que je peux dire, c'est que nous procédons par priorités cliniques pour les interventions cardiaques et que les délais constatés sont liés au manque de lits aux soins intensifs», a dit la porte-parole du CHUM, Lucie Dufresne.