Un retard dans la remise en marche du réacteur de Chalk River pour la production d'isotopes médicaux serait «extrêmement grave» pour les hôpitaux du pays, s'inquiètent les médecins, au moment où seulement le quart des travaux prévus ont été effectués.

Le réacteur nucléaire doit reprendre du service au mois de mars après un arrêt de 10 mois en raison d'une fuite d'eau lourde, mais en date du 6 janvier, seulement 24 % des travaux et examens avaient été effectués à Chalk River.

«Ça avance toujours, et nous sommes toujours en ligne pour repartir le réacteur vers la fin mars», a assuré malgré tout le responsable des communications d'énergie atomique du Canada limitée (EACL), Dale Coffin.

Pendant ce temps, le milieu médical se croise les doigts pour que les soudeurs, qui travaillent jour et nuit pour restaurer le réacteur, puissent effectivement terminer leur boulot à temps.

Un délai supplémentaire serait «extrêmement grave», selon le président de l'Association des médecins spécialistes en médecine nucléaire du Québec, François Lamoureux, puisque le réacteur des Pays-Bas, qui avait augmenté sa production pour pallier à l'arrêt de celui du Canada, doit fermer à la mi-février pour être réparé à son tour.

Les malades en attente de diagnostic et de traitement, notamment de maladies cardiaques et de cancer, pourraient en pâtir si le délai entre l'arrêt du réacteur hollandais et la reprise de celui de Chalk River venait à s'élargir, d'autant que ces fameux isotopes ont une durée de vie d'à peine quelques jours.

En août dernier, EACL avait dû reporter la date de remise en marche du réacteur de la région d'Ottawa parce qu'on avait découvert que des réparations étaient nécessaires à neuf nouveaux endroits.

Isabelle Legault du conseil exécutif de l'Alliance du personnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) craint qu'une pénurie prolongée mette trop de pressions sur les professionnels, qui doivent déjà faire de nombreuses heures supplémentaires. Leur horaire a été chamboulé pour s'harmoniser aux arrivages d'isotopes de l'étranger.

«Si ça devait se prolonger, c'est sûr qu'il faudrait revoir le mode de fonctionnement parce que nos troupes vont être essoufflées, ça c'est clair», a fait valoir Mme Legault.

«(Les salariés) font actuellement "les rush" en sachant que ça ne durera pas tout le temps», a-t-elle spécifié.

Depuis le début de la crise, les hôpitaux sont parvenus à effectuer les examens nécessaires pour les malades, soit en utilisant des isotopes de type technétium importés (plus coûteux qu'autrefois), soit en utilisant des méthodes alternatives, dont certaines sont moins précises.

«Je pense que les patients ont eu les soins avec les moyens disponibles. Probablement que c'était adéquat. Mais pas optimal», a avancé le président de l'Association canadienne de médecine nucléaire, Jean-Luc Urbain.

Dans ce contexte, le Québec s'en est plutôt bien tiré parce qu'il possédait déjà des équipements de tomographie par émission de positrons comme méthode alternative aux isotopes.

«Ailleurs au Canada, c'est nettement moins facile», a souligné M. Urbain.

Compensation aux provinces

La pénurie d'isotopes a coûté cher aux provinces jusqu'à présent et Québec entend toujours refiler la facture à Ottawa.

Le ministre québécois de la Santé, Yves Bolduc, avait indiqué cet été qu'il estimait les coûts engendrés par la crise à près de 10 millions $ pour la province. Selon son attachée de presse, Karine Rivard, il est encore trop tôt pour fixer un chiffre précis pour les réclamations.

«C'est une facture qui augmente à chaque jour face à cette pénurie d'isotopes-là. Dès que la crise sera derrière nous, on sera en mesure de faire le calcul de combien cela a coûté et de faire la réclamation auprès du fédéral», a-t-elle indiqué.

Les frais supplémentaires encourus par les provinces incluent les frais additionnels pour la main-d'oeuvre, mais aussi les coûts liés à l'achat des isotopes.

«Le technétium a augmenté de 30 %, ce qui représente pour l'ensemble du Canada entre 10 et 15 millions $ par an», a affirmé M. Urbain.

Quant aux heures supplémentaires qu'il a fallu payer pour le personnel, cela s'élève «assurément à quelques centaines de milliers de dollars», a évalué Mme Legault.

Les hôpitaux ont eu la consigne de se procurer le matériel nécessaire aux examens et aux traitements en dépit du coût élevé et d'en faire un relevé chaque semaine, a indiqué M. Lamoureux.

Cet été, la ministre fédérale de la Santé, Leona Agglukaq, n'avait pas complètement fermé la porte à un dédommagement pour les provinces. A son bureau cette semaine, on a refusé de dire si l'on considérait encore une indemnisation.

«Depuis la fermeture du réacteur NRU, le gouvernement du Canada est en contact avec les gouvernements provinciaux, territoriaux et les fournisseurs de soins de santé afin d'échanger de l'information et d'identifier des approches novatrices en vue de gérer la présente situation», a simplement écrit par courriel Stéphane Shank, des relations publiques.

Selon M. Urbain, les demandes de remboursements des provinces sont tout-à-fait légitimes.

«L'augmentation des prix est essentiellement liée à la défectuosité du réacteur qui est de ressort fédéral, alors je pense que c'est tout à fait normal que les provinces demandent une assistance de la part du gouvernement fédéral», a-t-il souligné.