Au Québec, chaque patient qui nécessite des soins de santé spécialisés doit presque obligatoirement se rendre dans les grands centres pour être traité. Les hôpitaux situés dans les régions éloignées transfèrent chaque année des centaines de patients vers les centres hospitaliers urbains, et récoltent du coup une facture salée, comme le montrent des données obtenues par La Presse.

«On est situés à plus de 200 km de Montréal. Y envoyer des patients coûte bien plus cher que si on était en banlieue rapprochée», illustre Jean-Pierre Urbain, directeur général du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Antoine-Labelle, situé dans les Laurentides. Pour avoir une idée des coûts engendrés par le transport dans le réseau de la santé, La Presse a obtenu les frais de taxis des 95 CSSS du Québec depuis 2006. Chaque année, les CSSS dépensent en moyenne 10 millions en frais de taxis, révèlent les données, obtenues grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

Mais il ne s'agit que de la pointe de l'iceberg. Si on ajoute à cela l'ensemble des frais de transport, soit les coûts de transport adapté, le remboursement de kilométrage et les voyages en ambulance, la facture peut facilement être multipliée par 10. M. Urbain confirme que les frais de transport représentent une part non négligeable de son budget. «En 2008-2009, on a dépensé 1,3 million en transport de toutes sortes sur notre territoire», dit-il.

Des millions en avion

Plus un CSSS est situé en région éloignée, plus le casse-tête du transport est important. Par exemple, le CSSS de la Basse-Côte-Nord, dont l'hôpital est situé à Blanc-Sablon, a des frais de déplacement qui donnent le vertige.

Parce que la région n'est reliée par aucune route au reste du Québec, tout transfert de patient doit s'effectuer par avion. Un patient qui doit subir un traitement ou un examen de pointe est transféré à Montréal ou à Sept-Îles.

L'hôpital de Blanc-Sablon effectue en moyenne 100 transferts de patients par mois. Les coûts d'une telle procédure sont élevés. En 2007-2008, le CSSS de la Basse-Côte-Nord a ainsi versé 3,4 millions à la compagnie Air Labrador. «Je pars en vacances la semaine prochaine, et juste pour me rendre à Montréal en avion, ça me prendra six heures!» illustre la chef du service de comptabilité du CSSS de la Basse-Côte-Nord, Éveline Chartrand. «Le transport ici demande beaucoup de planification et d'argent.»

Le transport du personnel sur la Basse-Côte-Nord doit aussi se faire par avion. Tous les villages de la Basse-Côte-Nord possèdent un dispensaire, où une infirmière gère une pharmacie et voit certains patients. Mais malgré tout, des médecins doivent régulièrement se rendre dans ces localités pour offrir des soins.

Les médecins qui desservent des villages complètement isolés voyagent par la voie des airs. «Le petit village de Saint-Augustin n'est situé qu'à environ 15 minutes d'ici. Mais il faut absolument y aller en avion. Il n'y a pas de route. On paye donc les frais», note Mme Chartrand.

Parfois, deux ou trois villages sont reliés entre eux par une route. «Les médecins doivent donc prendre l'avion pour aller passer deux jours dans un groupe de villages. Puis ils reprennent l'avion pour aller dans un autre groupe de villages. C'est sûr qu'on ne parle pas des mêmes réalités qu'à Montréal ! C'est très dispendieux», reconnaît Mme Chartrand.

Mis à part le CSSS de la Basse-Côte-Nord, très peu de CSSS vivent pareille situation dans la province. Le CSSS des Îles, qui dessert l'archipel des Îles-de-la-Madeleine, est l'une des rares exceptions.

Les soins primaires et secondaires peuvent être réalisés sur place. Mais pour obtenir des soins plus poussés, les patients doivent être transférés par avion à Québec. En 2008-2009, 212 patients hospitalisés et 1554 patients ambulatoires ont été transférés par avion des Îles-de-la-Madeleine à Québec. Le CSSS a également dû payer le transport par avion de 339 escortes, souvent des infirmières qui accompagnaient les patients.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on est incapable de dire à combien s'élèvent les frais de transport annuels dans le réseau. Mais à l'Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), on affirme que les frais de transport ont totalisé plus de 110 millions en 2007-2008.

«Mais si on considère que le budget total pour les établissements de santé est de 18 milliards, le transport n'est qu'une part minime», nuance la directrice générale de l'AQESSS, Lise Denis.

Le MSSS encadre le remboursement des frais de transport dans son réseau. Quand un patient doit être transféré dans un autre établissement, les CSSS ont le devoir «d'utiliser le moyen de transport le plus économique, et ce, en fonction de la condition médicale et sociale requise par l'usager, ou encore de l'éloignement géographique dans le cas de l'usage de l'avion», explique la porte-parole du MSSS, Karine White.

Mme Denis ajoute qu'étant donné l'étendue du territoire du Québec, il est impossible d'offrir tous les soins de pointe dans toutes les régions. «Le Québec est un immense territoire. Payer pour le transport est un moyen de s'assurer que toute la population reçoive les traitements adéquats», dit Mme Denis.

Taxi, transport adapté, ambulance... Les moyens utilisés pour transférer des patients sont multiples. Mais dans certains cas, l'avion, et les factures salées qui viennent avec, est la seule solution.

- Avec la collaboration de William Leclerc