Le réseau public fait de plus en plus appel au privé pour répondre à la demande. Près de 60% des établissements de santé ont fait appel aux infirmières des agences l'an dernier.

Une formule qui coûte cher. La facture a grimpé à 145 millions l'an dernier pour le recours aux infirmières auxiliaires, techniciennes et cliniciennes provenant des agences privées, indiquent les données du ministère de la Santé et des Services sociaux obtenues par La Presse.

Le travail du personnel des agences dans le réseau public demeure marginal. Mais il augmente d'année en année. En 2007-2008, les infirmières indépendantes ont travaillé 2,4 millions d'heures. C'est une proportion de 3,6% du total des heures travaillées par le personnel infirmier dans le réseau public.

L'année précédente, elles avaient travaillé 1,98 million d'heures, pour un total de 2,9% des heures travaillées dans le réseau.

Le recours à cette main-d'oeuvre indépendante s'étend maintenant à l'ensemble de la province. Auparavant, il se limitait surtout aux régions de Montréal, de Québec et de l'Outaouais, note la directrice générale de l'Association québécoise des établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), Lise Denis.

«Les données nous démontrent qu'il y a des régions où, de plus en plus, on n'a pas le choix de recourir aux infirmières privées pour éviter des ruptures de service. Avant, c'était marginal, mais aujourd'hui, c'est plus systématique», constate-t-elle.

Les plus grands employeurs demeurent les centres d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) ainsi que les centres de réadaptation. Dans certains établissements, les infirmières des agences privées accomplissent jusqu'à 40% du total d'heures travaillées par le personnel infirmier.

De plus en plus, les hôpitaux font aussi appel aux agences privées pour éviter des ruptures de service aux urgences, aux soins intensifs ou sur les unités de soins. Une situation qui n'est pas idéale.

«Ce n'est pas le choix des établissements parce qu'en termes de qualité professionnelle, de continuité, de connaissance des patients, de connaissance des protocoles, c'est sûr que ces infirmières ne sont pas dans la même situation que les équipes permanentes», souligne Mme Denis.

Des cibles de réduction

La politique face à la main-d'oeuvre indépendante varie d'ailleurs d'un établissement à l'autre. Certains hôpitaux ne veulent pas recourir aux agences. C'est le cas du CHUM. En revanche, les équipes en place sont régulièrement appelées à faire des heures supplémentaires pour pallier le manque d'effectifs.

«Nous avons plutôt décidé d'investir dans notre main-d'oeuvre à nous», déclare la directrice générale adjointe aux affaires cliniques du CHUM, Esther Leclerc, pour expliquer la décision de son établissement.

«Dans les hôpitaux qui ont recours aux agences, c'est certain qu'il y a moins de pression sur le personnel en place, mais sur le plan du climat de travail, c'est plus fructueux d'investir dans des équipes stables», ajoute-t-elle. D'autres hôpitaux font régulièrement appel à la main-d'oeuvre indépendante, notamment à Québec, à Laval, dans Lanaudière, en Montérégie et ailleurs à Montréal.

C'est le cas de l'hôpital du Sacré-Coeur où les infirmières indépendantes ont assumé 10,9% des heures travaillées l'an dernier.

«Nous n'avons pas un nombre suffisant d'infirmières pour maintenir l'accessibilité des services. Nous voulons soutenir nos équipes et minimiser l'impact de la pénurie en réduisant le recours aux heures supplémentaires», indique la directrice des soins infirmiers à l'hôpital du Sacré-Coeur, Johanne Salvail.

Le phénomène de la main-d'oeuvre indépendante a pris des proportions telles que Québec veut donner un coup de barre. Le gouvernement a demandé aux établissements de lui soumettre un plan de réduction du recours aux agences privées.

«Nous demandons aux établissements d'avoir des cibles de réduction pour nous assurer qu'il y ait une main-d'oeuvre utilisée qui provient du réseau public. Ce ne sont pas toutes les agences (de santé et de services sociaux) qui ont déposé leur plan de réduction jusqu'à présent, mais nous voulons réduire le recours aux agences privées au minimum», explique la responsable des communications au ministère de la Santé et des Services sociaux, Dominique Breton.

Mais dans le contexte de pénurie actuel, où le taux d'absentéisme du personnel infirmier est élevé, la tendance est difficile à renverser.

D'ailleurs, 40% des établissements de santé ont accru leur recours à la main-d'oeuvre indépendante l'an dernier, indiquent les données provinciales.

À la Fédération interprofessionnelle du Québec (FIQ), on trouve d'ailleurs que le travail de réorganisation du travail n'avance pas vite. La volonté de changer les choses ne se fait pas toujours sentir sur le terrain, explique Daniel Gilbert, vice-président de la FIQ.

«Il y a peu de pistes de solutions en cours. Tout est documenté et a fait l'objet d'un consensus, mais la volonté locale n'est vraiment pas là», ajoute M. Gilbert.