De quoi meurt-on aujourd'hui au Québec ? Un démographe qui aurait été congelé en 1975 et qu'on réveillerait aujourd'hui aurait son lot de surprises devant la réponse. Aucune grande maladie infectieuse ou parasitaire, comme on le craignait il y a trois décennies, ne ravage la province. Il n'y a plus d'hécatombes sur les routes et le nombre de meurtres a fondu, lui apprendrait le dernier rapport de Statistique Canada sur les causes de décès. L'espérance de vie, dont on croyait avoir atteint le maximum à la fin des années 70, n'a pas cessé d'augmenter.

Et notre démographe à l'oeil affûté s'apercevrait avec étonnement que les maladies du coeur, les plus grandes tueuses de son époque, ont été dépassées par le cancer. Mais s'il continue sa lecture jusqu'à la fin du tableau, il verra des données troublantes : 90 personnes sont mortes de déficiences nutritionnelles en 2005 au Québec, année où ont été colligées les dernières statistiques ; 1237 se sont suicidées, un des plus hauts taux au monde. Et 121 personnes sont décédées d'une maladie qui ne devait plus faire de victimes dans les pays développés, le sida (voir autres textes).

La grande surprise, estime le démographe Robert Bourbeau, c'est d'abord de constater que l'espérance de vie a continué de grimper. Elle atteint aujourd'hui 83,4 ans pour les femmes et 78,8 ans pour les hommes. « À l'époque, il y a eu un ralentissement dans les années 60 et 70, on se demandait si on n'avait pas atteint un seuil pour l'espérance de vie. Il y a eu un ralentissement et après, c'est reparti. »

Ce nouveau départ a été rendu possible par ce que M. Bourbeau, qui dirige le Groupe de recherche sur la démographie québécoise de l'Université de Montréal, appelle « la révolution cardiovasculaire ». « Dans les années 50, j'ai vu mon père mourir à 50 ans d'une crise cardiaque, d'un infarctus. Aujourd'hui, on n'en meurt plus de la façon dont ça se faisait. On peut maintenant débloquer les artères, les interventions ont changé. Et il y a une partie liée au comportement. Les gens font plus attention sur la cigarette, l'alimentation, l'embonpoint. »

Son collègue Robert Choinière, de l'Institut national de la santé publique du Québec, renchérit : le Québec a même réussi en quatre décennies à passer de cancre à premier de classe au chapitre de l'espérance de vie. « On aurait pensé qu'on aurait atteint un plafond, mais on voit que l'espérance de vie continue d'augmenter constamment. »

Selon la comparaison la plus récente de l'INSPQ, basée sur les données de 2004, le Québec n'est surclassé que par le Japon au chapitre de la mortalité due à des maladies cardiovasculaires. Selon le bilan de Statistique Canada, 15 000 Québécois sont morts en 2005 de ces maladies, dont le tiers d'un infarctus.

À l'autre bout du spectre, le Québec est parmi les derniers en ce concerne la mortalité par cancer, surtout les cancers pulmonaires et colorectaux. Avec quelque 18 000 décès et un taux de 220 morts par 100 000 habitants, la province arrive en queue de peloton.

« Le cancer du poumon, c'est notre tabagisme passé, explique Robert Choinière. On écope de nos habitudes tabagiques des années 60 et 70. » Il rappelle que plus d'un homme sur deux était fumeur à l'époque, un taux descendu aujourd'hui à 23 %.

« Il y a 30 ans, on se disait qu'il y aurait un remède pour le cancer, rappelle Robert Bourbeau. On se disait qu'on trouverait un vaccin, quelque chose. On s'aperçoit qu'on fait des pas, mais on ne sait pas si on avance tant que ça. Ça, c'est une des déceptions. On pensait que les principaux cancers pourraient être guéris, qu'on trouverait un remède en 2010. Mais non, ce n'est pas arrivé. »

L'autre découverte agréable, selon le démographe, c'est de constater qu'aucun prophète de malheur n'a eu raison depuis 40 ans. « Il y eu un moment où on s'est demandé s'il y aurait l'émergence d'une nouvelle maladie infectieuse et parasitaire. Il y a eu les crises du SRAS, le virus du Nil, mais tout ça a été très ponctuel, ça n'a pas eu d'impact très important. On nous annonçait le pire avec la grippe aviaire, et finalement, il y a eu des pointes, mais rien d'extraordinaire, alors que des gens annonçaient le pire. »