À 45 ans, France Lépine n'avait jamais parié, n'achetait pas de billets de loterie et n'avait jamais joué au vidéopoker. Atteinte d'une maladie peu connue, le syndrome des jambes sans repos, elle s'est fait prescrire en août 2007 un médicament utilisé surtout pour la maladie de Parkinson, le Mirapex.

Sa vie a basculé, comme celle de milliers de personnes à qui on a prescrit ce médicament, au nom desquelles une demande de recours collectif a été présentée fin février en Cour supérieure.

 

Mme Lépine s'est mise à parier quotidiennement, a perdu sa conjointe et son emploi, a dilapidé tous ses biens, peut-on lire dans la requête, que La Presse a obtenue. À peine quatre mois plus tard, en décembre 2007, elle a déclaré faillite. Elle a appris en janvier dernier que ses malheurs étaient bien documentés par plusieurs études et étaient liés à l'utilisation du Mirapex, qu'elle a cessé de prendre. Sa dépendance au jeu a presque entièrement disparu.

Elle réclame 60 000$ pour les préjudices qu'elle estime avoir subis, dont 10 000$ en dommages exemplaires. Il a été impossible de lui parler de vive voix.

Pilotée par le cabinet d'avocats Lauzon Bélanger, la demande veut représenter les milliers de patients québécois - le nombre exact est inconnu - qui ont reçu du Mirapex depuis sa mise en marché au Canada, en 1998. On réclame 10 000$ en dommages exemplaires pour chacun, plus une somme à déterminer selon les préjudices subis. Plusieurs études estiment que ce médicament provoque un comportement compulsif chez 15% de ses utilisateurs.

La plus récente, à laquelle a collaboré un chercheur de l'Université McGill, a été publiée fin février dans la revue scientifique Neuron. On y constate un taux anormalement élevé de dépendance au jeu pathologique chez les patients atteints de la maladie de Parkinson et traités avec un substitut de la dopamine, comme le Mirapex et le Requip, son principal concurrent. La proportion de personnes dépendantes au jeu parmi les patients traités avec ces médicaments est de 8%, contre 1% dans la population en général.

«Dans certains cas, (ces) patients ne peuvent plus se passer de leurs propres médicaments, ou finissent par souffrir de toxicomanies comme le jeu pathologique, le magasinage compulsif ou l'hypersexualité», dit Alain Dagher, neurologue à l'Institut neurologique de Montréal et coauteur de l'étude. Chez les patients qui se sont retrouvés avec ce type de dépendance, les problèmes ont commencé avec la prise du médicament et ont cessé à l'arrêt du traitement. Un simple ajustement de posologie suffisait dans bien des cas à régler le problème.

Avertissements insuffisants

La première étude révélant cet effet secondaire a été publiée au cours de l'été 2003 par les chercheurs du centre de recherche Muhammad Ali. En juillet 2005, des chercheurs de la clinique Mayo ont analysé 11 cas de patients qui ont éprouvé des problèmes de dépendance au jeu après avoir pris du Mirapex - ils en ont trouvé 14 autres depuis.

Or, dénonce la requête déposée fin février, le fabricant de ce médicament, Boehringer Ingelheim, n'aurait jamais clairement mis en garde les patients et les médecins de ces effets. Depuis 2004, la monographie du médicament, qui fait une cinquantaine de pages, contient en page 17 une brève note signalant qu'on a parfois relevé «une dépendance au jeu, une augmentation de la libido et une hypersexualité».

Les porte-parole de Boehringer Ingelheim, une pharmaceutique allemande qui a ouvert une filiale à Burlington, ont décliné les demandes d'entrevue au motif que des procédures judiciaires étaient en cours.

 

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De nombreuses poursuites

Le Québec est la plus récente juridiction où le Mirapex fait l'objet de poursuites judiciaires. En mai 2005, une requête de recours collectif nettement plus gourmande a été déposée en Ontario: on demande 3 millions par patient lésé et 50 000$ en dommages exemplaires. Le recours n'a toujours pas été autorisé, notamment parce que des poursuites semblables ont été intentées aux États-Unis, précise-t-on au cabinet torontois Thomson Rogers, qui a présenté la demande. À ce cabinet comme chez Lauzon Bélanger, on n'écarte pas la possibilité que les recours québécois et ontarien soient fusionnés. 

Aux États-Unis, quelque 300 poursuites ont été regroupées dans le district du Minnesota. Un premier jugement a été rendu en août dernier: un patient qui avait perdu 260 000$ au jeu entre 2002 et 2006 a reçu 8,2 millions en compensation.

Selon la Société Parkinson, quelque 25 000 Québécois seraient atteints de cette maladie, pour laquelle on ne connaît pas de remède. Les médicaments prescrits permettent tout au plus d'atténuer les symptômes, dont les plus courants sont les tremblements, la lenteur, des problèmes d'équilibre et la rigidité musculaire.

Quant au syndrome des jambes sans repos, celui dont est atteinte France Lépine, il s'agit d'un mal étonnamment peu connu même si on estime qu'il touche de 5 à 10% des adultes. Il se manifeste le jour par des picotements douloureux accompagnés d'un besoin irrépressible de bouger les jambes. La nuit, les malades ont des mouvements involontaires des pieds et des orteils. À faible dosage, des médicaments comme le Mirapex semblent soulager les symptômes.

Selon les statistiques les plus récentes de la Régie de l'assurance maladie du Québec, le Mirapex a été prescrit 92 489 fois en 2007, pour un coût de 5,2 millions. En y ajoutant les ordonnances remboursées par les assurances privées, qui représentent 58% du total, le Mirapex serait prescrit quelque 200 000 fois chaque année au Québec.