La convention de Rotterdam, qui vise à réguler étroitement le commerce international de produits toxiques dans le monde, pourrait devenir caduque si les pays signataires ne parviennent pas à s'entendre sur la classification de l'amiante chrysotile à leur prochaine réunion, à Rome.

«Franchement, je pense que ce sera la mort de la convention si ça ne se règle pas cette fois», a déclaré hier à Londres Laurie Kazan-Allen, coordonnatrice du secrétariat international de Ban Asbestos, un regroupement d'associations qui milite pour l'abolition de l'amiante.

 

La quasi-totalité des 120 pays signataires de la convention estiment que le chrysotile devrait être ajouté à la liste de l'annexe III du document. Les pays exportateurs des produits qui y figurent doivent obtenir un «consentement préalable en connaissance de cause» des pays destinataires avant de procéder à une vente.

Toutes les autres fibres d'amiante sont déjà assujetties à ce protocole. Mais les pays où le chrysotile est encore produit, dont le Canada, s'opposent à son ajout dans l'annexe. Ils arguent qu'un usage sécuritaire est possible. Une seule voix d'opposition suffit puisque la décision de classer un produit comme dangereux doit être prise par consensus.

Lors du précédent sommet, à Genève en 2006, le comité scientifique de la convention a recommandé l'ajout du chrysotile à l'annexe III mais aucune entente n'avait pu être trouvée.

Mme Kazan-Allen craint que d'autres pays s'inspirent de l'attitude du Canada et tentent de bloquer pour des raisons économiques le classement de produits industriels dans cette catégorie restrictive.

Sa crainte est partagée par Madhumita Dutta, militante indienne qui évoque le cas de l'endosulfan, un autre produit toxique que le comité scientifique de la convention propose de soumettre au protocole du consentement préalable.

L'Inde, dit-elle, est le principal pays producteur d'endosulfan et s'est déjà opposée avec succès par le passé à un tel classement. Le gouvernement s'oppose aussi au classement de l'amiante chrysotile, dont il est l'un des principaux producteurs et importateurs.

«Je ne pense pas que la convention sera encore crédible si l'amiante chrysotile n'est pas placé dans l'annexe III. C'est dommage puisqu'il a fallu 10 ans pour réussir à la faire décoller», déplore Mme Dutta, que La Presse a jointe à Chennai, dans le sud de l'Inde.

L'Alliance pour la convention de Rotterdam, qui regroupe des organisations environnementalistes et syndicales favorables à l'abolition de l'amiante sous toutes ses formes, entend réclamer la levée de la règle du consensus. Un tel scénario est cependant improbable puisque les pays réfractaires peuvent bloquer par leur opposition toute réforme du processus décisionnel, prenant en «otage» la convention, déplore-t-elle dans un communiqué.

Le Canada devra donc se défendre contre plusieurs pays, notamment européens, qui interdisent l'usage de l'amiante sous toutes ses formes depuis plusieurs années. Ces pays, dont la France, ont franchi plusieurs étapes dans ce processus. Certains ont mis sur pied des fonds d'indemnisation destinés aux personnes atteintes de maladies professionnelles liées à une exposition à ce produit.

En août dernier, l'Institut du chrysotile, qui défend l'industrie canadienne, s'est inquiété d'une éventuelle modification de la règle de vote par consensus. Il croit qu'une telle démarche serait «inacceptable, déraisonnable et contraire à l'éthique».

L'organisation fustige aujourd'hui la «campagne violente» lancée contre le chrysotile et dit espérer que les débats à Rome prendront en compte les «abondantes nouvelles preuves scientifiques» sur l'impact sanitaire de la fibre.

L'Organisation mondiale de la santé ne fait aucune différence entre le chrysotile et les autres fibres d'amiante - toutes considérées comme cancérigènes - et ne reconnaît aucun seuil minimal d'exposition sécuritaire.

 

La convention de Rotterdam

La convention de Rotterdam est entrée en vigueur en 2004 et a été ratifiée à ce jour par 120 pays. Elle vise à encourager la coopération en matière de commerce international de produits dangereux pour réduire les risques sanitaires et environnementaux. Une quarantaine de produits industriels sont aujourd'hui assujettis à un protocole de «consentement préalable en connaissance de cause» qui oblige les pays exportateurs à obtenir l'accord formel des pays importateurs avant de pouvoir procéder à une vente. Les pays destinataires peuvent refuser un produit assujetti à cette règle, l'autoriser sans restriction ou imposer des conditions à l'importation.