L'éclosion de listériose qui a tué quatre personnes expose des failles majeures dans l'inspection des aliments, estime un expert de l'Université de Regina. Sylvain Charlebois craint que le prochain 11 septembre ne survienne dans notre assiette si le système canadien n'est pas revu de fond en comble.

 

L'industrie agroalimentaire a crû à un rythme astronomique au fil des ans: son chiffre d'affaires s'élève à 100 milliards de dollars par année et les Canadiens dépensent plus de 25 milliards de dollars pour la nourriture. Devant une machine aussi imposante, demande le chercheur, comment l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) et ses 5000 employés peuvent-ils tout contrôler? 

"Pour l'agence, faire la surveillance de tout cela, c'est pratiquement impossible. On surveille à peine 2% de ce qu'on mange."

M. Charlebois estime que Maple Leaf, comme ses concurrents, n'a pas le choix de concentrer ses activités, car les consommateurs souhaitent toujours des prix plus bas. C'est ainsi que l'usine de Toronto, fermée la semaine dernière, produit tellement de viande qu'elle en distribue jusque dans les moindres recoins du Canada.

Or, lorsqu'un lot de viande s'avère contaminé, il est souvent trop tard: les produits ont déjà été expédiés. Dès lors, c'est la course pour retracer tous les clients qui ont pu en recevoir.

Le résultat de cette méthode d'inspection: même si Maple Leaf a rappelé 23 produits avant que les analyses confirment qu'ils étaient contaminés à la listériose, au moins 21 personnes ont contracté la maladie dans quatre provinces canadiennes. L'entreprise a pourtant un dossier enviable en matière de salubrité.

Déléguer?

Le gouvernement conservateur est sur la sellette depuis quelques jours, parce qu'il songe à déléguer plus de responsabilités à l'industrie pour inspecter les aliments, laissant à l'ACIA un rôle de surveillance plus large. Le projet a été critiqué par l'opposition et par l'industrie de la viande, qui l'a carrément qualifié de "dangereux".

M. Charlebois, lui, y voit un excellent moyen de changer la "culture" d'affrontement qui oppose les autorités sanitaires et les industries canadiennes. Il estime aussi que la mesure forcerait les producteurs alimentaires à tenir un meilleur registre de leur clientèle au cas où leurs produits devraient être rappelés.

"En ce moment, on ne parle pas, on ne communique pas adéquatement avec les distributeurs comme Loblaws ou Métro, dit-il. On voit que les liens dans la chaîne sont carrément dysfonctionnels."

Mais ce point de vue ne fait pas l'unanimité dans le milieu universitaire. Ann Clark, professeure au département d'agriculture de l'Université de Guelph, soutient que plusieurs exemples de rappels d'aliments prouvent que l'industrie agroalimentaire ne doit pas être laissée à elle-même. Elle estime au contraire que l'ACIA devrait être renforcée.

"Sur l'autoroute 401, entre Toronto et Montréal, tout le monde ne respecte pas la limite de vitesse, illustre-t-elle. Pensez-vous que cela va changer si on poste moins de policiers sur la route?"