U2 a écrit une page d'histoire en attirant 162 466 spectateurs à l'Hippodrome de Montréal les 8 et 9 juillet. Mais la plus importante tournée de l'histoire du rock ne se serait pas arrêtée chez nous, n'eut été l'initiative et la ténacité de Jacques Aubé, vice-président et directeur général d'evenko, que La Presse et Radio-Canada nomment Personnalité de la semaine.

Jacques Aubé sort un document de l'un des trois gros cartables alignés devant lui: une lettre datée de 2009 dans laquelle il demande de retarder la réfection de la toiture du Stade olympique prévue l'année suivante. Live Nation, le producteur de la tournée de U2, lui a proposé la date du 10 juillet 2010 et Aubé sait qu'en cas de refus, Montréal risque d'être biffé de l'itinéraire du groupe irlandais au profit de Boston.

Le parc Jean-Drapeau ne pouvant accueillir 60 000 spectateurs, il faut vite trouver un autre endroit. On propose d'abord de présenter le spectacle à Mirabel. Trop éloigné de Montréal, répond Live Nation. Il y a bien le terrain de l'Hippodrome abandonné, mais il faudrait y bâtir de toutes pièces un stade. Or, U2 ne se produit que dans des stades qui ont fait leurs preuves. «Quand les gens nous ont proposé de venir ici (à l'Hippodrome), j'ai pensé qu'ils avaient perdu la tête», confirmait récemment Jake Berry, directeur de production de la tournée 360°.

Aubé, qui est en poste depuis mai 2005, refuse de baisser les bras: «Dans mon entourage, on me disait parfois 'Est-ce que c'était fou? ' Dans ma tête, ça ne l'était pas. Je déteste ça quand on n'a pas un show qui est présenté ailleurs.» Avec l'aide de la firme de scénographes-conseils Trizart Alliance, Aubé dessine les plans d'un stade qu'il soumet ensuite à Live Nation à Los Angeles, à Toronto et à New York. Après une série de refus, Live Nation donne son accord, et U2, sa bénédiction, en octobre 2009: la tournée rock qui a battu tous les records de recettes et d'assistance s'arrêtera à Montréal.

On connaît la suite: le caractère événementiel de ce rendez-vous fait exploser la demande et on passe rapidement d'un spectacle pour 60 000 spectateurs à deux représentations devant 160 000 fans payants, du jamais vu au Canada. Le report d'une année, à cause des maux de dos du chanteur Bono, n'y change rien: le public est au rendez-vous.

Construction du stade oblige, il faudra ajouter 4 millions dans la colonne des dépenses, mais les recettes seront évidemment revues à la hausse compte tenu des dizaines de milliers de billets supplémentaires qui ont trouvé preneurs. «Je ne me suis pas mis à risque financièrement, mais je pense que je l'aurais fait pour rien, affirme Aubé. Pour un rayonnement pareil, pour Montréal et le Québec, mais aussi pour evenko qu'on identifiait surtout au Centre Bell, mais qui acquiert une renommée internationale.»

Dans son bilan, Aubé a mentionné les 162 466 spectateurs, dont 20 000 de l'extérieur du Québec, qui ont généré des retombées économiques de 30 millions. En plus, comme le spectacle du samedi a été diffusé sur le site web de U2, des fans d'un peu partout ont entendu Bono vanter Montréal et saluer le public une dernière fois en lui lançant, en français: «Vive la différence! Vive (le) Québec!»

Est-ce que U2 aurait fait escale à Montréal la prochaine fois si sa tournée actuelle ne s'y était pas arrêtée cette année? «Je pense que oui, mais pourquoi prendre le risque?» répond Aubé.

Pour la petite histoire, rappelons qu'après avoir annulé un spectacle au Stade olympique en 1990, Paul McCartney a mis 20 ans avant de revenir chanter à Montréal l'an dernier. Et qu'il a fallu patienter pendant 13 ans avant de revoir Madonna à Montréal au printemps 2006.

«En 2005, au Centre Bell, Bono a dit qu'il aimait Montréal et je me demande si ça n'a pas influencé Madonna», suggère Aubé. Or, c'est parce que Madonna a rempli le Centre Bell deux fois en 2006 qu'on a offert à Aubé le spectacle de Barbra Streisand la même année, qui détient encore, cinq ans plus tard, le record des recettes brutes au Centre Bell.

Le week-end dernier à l'Hippodrome, le grand patron de Live Nation, Arthur Fogel, a parlé d'un moment historique dans l'histoire du rock, le guitariste The Edge a vanté le public montréalais à Aubé et Bono lui a dit qu'il avait fait du bon boulot, que le stade et le son étaient impeccables.

Aujourd'hui, plus personne ne doute du retour éventuel de U2 à Montréal.