Avec en tête la préoccupation de comprendre et respecter le génie du lieu, son histoire et sa personnalité, les architectes Renée Daoust et Réal Lestage ont voulu faire de la place des Festivals un lieu où les passants s'arrêtent et se trouvent bien.

Sur la place des Festivals, jeudi après-midi, un groupe de nouveaux étudiants de l'Université McGill se sont fait photographier les pantalons baissés, pour répondre aux subtiles exigences de leur première rentrée. Une surveillante les a gentiment rappelés à l'ordre, mais Renée Daoust et Réal Lestage auraient sans doute été enchantés de la scène. À quelques détails près, cet usage ludique est précisément l'objectif qu'ils visaient quand ils ont conçu l'aménagement du secteur Place des Arts du Quartier des spectacles. Les lieux accueilleraient bien sûr les grands événements rassembleurs de foule, mais en autres temps - c'est-à-dire la majorité du temps -, les passants devraient les parcourir, s'y arrêter, s'y trouver bien.

«Le plus grand défi comme concepteurs, c'était de faire en sorte qu'en dehors des festivals, ça devienne de véritables places publiques, animées, intéressantes, qui vont indirectement catalyser le développement autour du quartier», exprime l'urbaniste Réal Lestage.

La semaine dernière encore, ils ont testé un nouvel équipement sur le Parterre, cet amphithéâtre naturel récemment ouvert, jouxtant la Place des Arts. Vers 21h, un brouillard illuminé par des projecteurs rouges s'est échappé d'un long caniveau. Aussitôt, des spectateurs se sont matérialisés. «On se demandait d'où les gens arrivaient!»

Alors que s'achève la belle saison, pendant laquelle la place des Festivals a attiré foules et louanges, La Presse accorde à l'architecte et urbaniste Renée Daoust et à son associé Réal Lestage le titre de Personnalités de la semaine.

S'inscrire dans la durée

Les deux associés de Daoust Lestage comptaient à peine cinq ans d'expérience - un clignement d'oeil, dans ce métier au long apprentissage - quand ils ont ouvert leur propre bureau, en 1988. Ils avaient alors formé l'antenne montréalaise d'une firme d'architectes réputés de Québec, Gauthier Guité Roy.

«Ils avaient l'expérience et les réseaux, relate Renée Daoust. On avait une expertise complémentaire... et beaucoup d'énergie.»

Surtout, ils partageaient un même souci des détails et une même passion pour l'architecture significative. C'est avec eux qu'ils ont appris à gérer des projets importants.

Les premières années furent néanmoins difficiles, dans un contexte de morosité économique. «Ça nous a permis de faire énormément d'études et de peaufiner notre approche élargie de l'urbain jusqu'à l'objet.», narre Réal Lestage. «Ça a fait en sorte que nos premières commandes, on les a perçues plus comme des opportunités de s'exprimer que des occasions d'affaire.»

Avec le retrait progressif des associés de Québec, le bureau montréalais est devenu Daoust Lestage. Une trentaine de personnes y pratiquent une architecture rigoureuse: des bâtiments aux lignes tendues, comme les blocs blancs du Centre Y de Cartierville. Des places publiques épurées, comme la promenade Samuel-de-Champlain, le long du fleuve à Québec, qui a remporté au printemps dernier un Prix du Gouverneur général.

Mais attention, prévient Réal Lestage: «La différence entre un projet simple et un projet simplet est ténue.» Elle réside dans la qualité, laquelle tend à la pérennité - les deux maîtres-mots de Daoust Lestage.

Alors que la diffusion instantanée des tendances architecturales sur l'internet tend à gommer les particularités locales, Daoust et Lestage ont la préoccupation de comprendre et respecter le génie du lieu, son histoire, sa personnalité. «C'est un des fondements de notre pratique», assure Renée Daoust.

Encore aujourd'hui, chaque nouveau projet est perçu comme un privilège qu'on leur accorde, une chance de concrétiser une vision. La qualité intrinsèque de ces mandats présente un autre avantage: leur bureau attire les meilleurs étudiants des écoles d'architecture. Certains de ces jeunes créateurs les quitteront un jour pour fonder à leur tour leur propre bureau. C'est ainsi qu'une culture se lègue et perdure.

Malheureusement, cette culture de l'architecture fait largement défaut au Québec, déplore Renée Daoust. «Ici, on ne parle que de coût», observe-t-elle. «On ne parle jamais du bâtiment et de l'espace public, de ce qu'ils apportent, de leurs retombées financières.»

Un de leurs grands succès, le Centre CDP Capital de la Caisse de dépôt et placement, s'est signalé par son immense paroi vitrée, dont la double cloison est ventilée pour faire isolation. «Tous nos voisins, les gens d'Ontario, la presse spécialisée européenne et américaine ont parlé de ce bâtiment pour reconnaître sa qualité et ses innovations technologiques, poursuit Renée Daoust. Tous en ont parlé... sauf au Québec.»

On dénonce les coûts en amont, mais on néglige les bénéfices en aval - la réputation de la ville, l'attrait auprès des employeurs et des touristes, l'accroissement de valeur des lots voisins. «Dans le Quartier des spectacles, rappelle l'architecte, les îlots vacants qui faisaient face à des terrains vagues se trouvent aujourd'hui devant des espaces publics.»

Le plus important de ceux-là, la place des Festivals, est en représentation même quand elle ne montre pas de spectacle. Elle est parcourue de jalons lumineux, de jets d'eau qui s'élèvent puis disparaissent. Pour animer le long mur aveugle du Musée d'art contemporain, René Daoust et René Lestage ont installé des «vitrines habitées», deux étroits pavillons vitrés qui accueillent des bistros. La plupart de leurs tables étaient occupées, en ce même jeudi après-midi.

«La plus grande satisfaction, dans les projets sur lesquels on travaille, c'est la fréquentation et le confort des usagers, constate Réal Lestage. La récurrence, les gens qui reviennent, un espace fréquenté, ça fait partie de la pérennité.»