Elle est si frêle qu'on peut la croire fragile. Comme une fine porcelaine. Elle a pourtant la force éclatante d'une survivante. Lauréate d'un prix à Paris pour son premier roman, Ru, Kim Thúy fait une entrée remarquée dans le monde littéraire.

Kim Thúy a traversé mers et mondes. Pour raconter tout cela, des mots se bousculent et noircissent au début un minuscule carnet. Puis, c'est la débâcle inéluctable. Des mots sensibles, puissants d'évocation, racontent son enfance, Saigon, la guerre, le sang, sa traversée du golfe de Siam à 10 ans, et, finalement, la paix du dernier rivage qui s'appelle Granby. Sa prose coule comme un petit ruisseau et entraîne le lecteur plus loin qu'une odyssée, qu'un exil. Elle témoigne de la résilience humaine et de la force de la vie.

 

Kim Thúy, dont Ru est le tout premier roman, a reçu le Grand Prix RTL-Lire dans le cadre du Salon du livre de Paris. Pour souligner son immense talent et sa sensibilité créatrice, La Presse et Radio-Canada la nomment Personnalité de la semaine.

Boat people

«La mer? Je ne l'ai pas vue, je suis restée au fond du bateau.» Elle ajoute que ce qu'elle ressent aujourd'hui face à la mer est une sorte d'indifférence.

En 1978, en compagnie de sa famille, elle est confinée à la cale d'un bateau inhumain où s'entassent d'autres réfugiés comme elle fuyant l'enfer, rêvant au paradis, entre les poux, la peur, les souillures, la faim, la peur, celle de mourir plus forte que tout.

«Tout ce qui vient après avoir pensé que l'on meure est extraordinaire», dit-elle. On comprend le sens profond de cette déclaration lorsqu'on a lu Ru, ces dizaines de courts récits parfois à l'envers du temps, parfois tendres et drôles, mais jamais désespérés. «J'ai peur de tout, pourtant», avoue-t-elle en riant. Sa plus grande peur? Ne pas être à la hauteur de ce qu'on attend d'elle. Son courage? L'affronter, cette peur.

Elle dit aussi qu'elle ne mérite pas toute l'attention dont son livre est l'objet. Ce n'est pas par fausse modestie. C'est comme ça pour tout. «Je m'écrase dans un fauteuil douillet, j'observe les boiseries, les hauts plafonds, je me dis que c'est trop beau.» Elle a des amis bienveillants. Karine Vanasse en est une. «Elle m'a encouragée à poursuivre mes écritures et elle était là lorsque j'ai mis le point final.» D'autres aussi tels André Dupuis et Jacques Savoie, qui ont porté son livre chacun à leur manière.

Empathique, reconnaissante, Kim Thúy met dans son récit sa densité. Tous les exilés ont leur histoire. Et Dieu sait qu'il y en a dans le monde! De plus en plus. Avec son livre, Kim Thúy leur donne un temps de parole, par la sienne qui sait toucher le coeur. Le mystère, pour ne pas dire le miracle, est de ressentir vivement la petite fille d'il y a plus de 30 ans maintenant, et cette femme d'aujourd'hui, rieuse, spontanée et tendre, qui vit à Longueuil, est mariée, a deux enfants et devient auteure à succès.

Granby

Lors du choix d'un pays d'accueil, qui s'est fait par des agents installés dans le camp malaisien, ses parents ont dit: «Nous irons au Canada. Au Québec, parce qu'on y parle français.» «On l'imaginait, ce pays, comme ressemblant aux steppes sibériennes!» raconte la jeune femme.

C'est à Granby que Kim a senti les premières odeurs du Québec et pris la mesure de l'avenir qui se profilait. Le temps de l'intégration, le temps de l'organisation. Ses parents, pragmatiques, ont souhaité que leurs enfants aillent à l'université, se bâtissent une profession solide. Elle a étudié la traduction, a pratiqué le droit, a été propriétaire d'un restaurant pendant cinq ans. Pourtant, à 15 ans, elle avait en tête de se consacrer à l'écriture. «Un jour, j'ai entendu Suzanne Lévesque parler de L'amant de Marguerite Duras, j'ai été subjuguée. Ce fut un livre charnière.»

L'un de ses deux garçons souffre d'autisme: «J'apprends beaucoup avec lui, notamment de vivre au présent.» Elle réintègre sa bulle à elle lorsque l'enfant dort. Elle peut écrire à n'importe quel moment. «J'ai même écrit des notes en automobile, aux feux rouges. J'adore les feux rouges!» dit-elle, pince-sans-rire.

Ru doit être vu comme une mosaïque, explique-t-elle. Une courtepointe de sa vie. «Ce sont des touches légères, comme des plumes, qui en impriment la couleur.» Quant à la forme de son livre, elle découvre qu'elle intrigue les lecteurs. Cette suite peut paraître illogique. «Mais chacune des pièces qui la composent est reliée par un fil conducteur. Ce fil, c'est moi.»

Le livre est déjà en vente en France, où il connaît un immense succès. Il sera traduit et d'autres pays en Europe en ont déjà négocié les droits.