Guillaume Giacon regarde les voitures qui sautillent bruyamment sur la chaussée défoncée de l'avenue du Parc-La Fontaine. Il voit bien que la rue est en piteux état, que des réparations d'urgence s'imposent. Mais rien n'y fait: il refuse que des firmes montrées du doigt pour leur malhonnêteté devant la commission Charbonneau empochent l'argent de ses taxes en fournissant l'asphalte pour boucher les nids-de-poule.

Vendredi, lorsque le maire Michael Applebaum a lancé un sondage en ligne au sujet de l'achat d'asphalte chez des fournisseurs controversés afin d'éviter une pénurie, M. Giacon s'est empressé d'y répondre.

«J'ai voté non. Je ne veux pas qu'on donne le contrat, car ce sont des entreprises sur lesquelles il y a un doute», martèle-t-il. En attendant, il s'accommode de l'état des routes montréalaises.

«C'est le dégel précoce. Je roule en voiture, et ce n'est pas pire que d'habitude», lance-t-il.

Plusieurs milliers de personnes ont déjà répondu au sondage du maire, qui se dit confronté à un dilemme.

«En janvier dernier, la Ville a lancé un appel d'offres pour pouvoir s'approvisionner en asphalte. Le contrat de 5 millions a été réparti parmi sept compagnies, en fonction de leur localisation. Certaines des compagnies qui ont gagné l'appel d'offres ont cependant fait l'objet de plusieurs articles et d'allégations», explique le préambule du sondage, qui fait notamment référence à une firme de l'empire Accurso.

«Nous pouvons accorder le contrat tout en sachant que nous faisons affaire avec des compagnies qui ont fait l'objet d'allégations quant à leur probité. Ou nous pouvons refuser d'accorder le contrat avec pour conséquence qu'il n'y aura pas d'asphalte pour colmater les nids-de-poule qui apparaissent après le 15 avril 2013», poursuit le texte.

«Je vote oui», dit Lisée

Le maire incite ouvertement les gens à voter pour l'attribution du contrat, ce qui permettrait aux opérations de colmatage d'aller de l'avant.

Il a reçu en ce sens l'appui du ministre responsable de la région de Montréal, Jean-François Lisée, qui a abordé le sujet dans son blogue.

«Depuis notre arrivée au pouvoir, nous avons toujours affirmé que les réparations d'urgence devaient être effectuées. La sécurité des citoyens est la première préoccupation. Les firmes coupables de fraude finiront bien par affronter les policiers, les juges et la justice. Pas la peine de massacrer nos essieux en plus!», a écrit le ministre.

«Je vote oui. Pour que les élus fassent le seul bon choix: celui du service aux citoyens», a-t-il ajouté.

Quant au ministre des Affaires municipales, Sylvain Gaudreault, il a refusé de s'immiscer dans le débat.

«C'est certainement pas moi, comme ministre, qui va partir avec ma pelle pour aller colmater les nids-de-poule», a-t-il déclaré dimanche à l'émission Les coulisses du pouvoir.

«C'est à l'administration de la Ville de Montréal de prendre les actions qui s'imposent. Le ministre est confiant que celle-ci agira avec diligence», a ajouté son attaché de presse, Yann Langlais-Plante, dans un courriel à La Presse.

Tous ne sont pas enthousiastes pour autant. C'est le cas d'Anne Danis, résidante du Plateau Mont-Royal, qui stationne sa voiture devant des barrières métalliques et un cône, installés après qu'une automobiliste s'est coincée dans un trou créé par le déplacement d'un couvercle d'égout.

«C'est assez long avant qu'ils viennent réparer. On pourrait peut-être les boucher nous-mêmes, les trous, tant qu'à y être», lance-t-elle avec ironie.

Jean-Pierre Groulx, autre résidant du coin, affirme qu'il trouve la consultation un peu ridicule. «Ça ne doit pas être si difficile de trouver une compagnie pour faire ça... Je vais lui en trouver une, moi, au maire», a-t-il dit, en colère.

Le sondage demeurera en ligne pour une durée indéterminée, jusqu'à ce que les élus choisissent une date pour une réunion extraordinaire à ce sujet. Le bureau du maire dévoilera ensuite le résultat, en prenant soin de retirer les doublons et les votes de l'extérieur de Montréal.