L'Unité permanente anticorruption (UPAC) a frappé mardi au coeur de l'administration montréalaise et du parti de l'ex-maire Gérald Tremblay, Union Montréal. En plein après-midi, près de 125 policiers se sont présentés à l'hôtel de ville, aux bureaux du parti et dans 6 arrondissements considérés comme des châteaux forts historiques de la formation, dont celui du maire Michael Applebaum. Ils cherchaient des preuves d'actes criminels liés au financement du parti.

Personne n'a été arrêté, mais une vingtaine de personnes, Michael Applebaum en tête, comme il l'a confirmé lui-même, ont été «rencontrées» par les policiers ou devraient l'être.

Hormis le maire de Montréal, il s'agirait notamment d'élus et d'anciens élus d'Union Montréal, ainsi que de fonctionnaires. Les enquêteurs s'intéressent aux informations que détiennent certains maires ou anciens maires des arrondissements visés, qui ont tous été des poids lourds du parti: Gérald Tremblay, Alan DeSousa, Claude Dauphin et Frank Zampino, notamment.

Le financement sous la loupe

Tous n'ont pu être joints par La Presse mardi soir. Seul Claude Dauphin a fait savoir qu'il n'avait toujours pas été interrogé par la police à ce moment-là.

«Ces perquisitions ont eu lieu dans le cadre d'une enquête qui a été ouverte en 2010 et qui concerne des allégations de fraude, abus de confiance et fabrication de faux documents», a expliqué Anne-Frédérick Laurence, porte-parole de l'UPAC.

Selon nos sources, l'enquête est centrée sur le financement politique illégal.

Bouclé pour la nuit

Peu après 16h, des policiers de l'escouade Marteau, bras armé de l'UPAC, ont fait irruption à l'hôtel de ville, mandat de perquisition en main. Ils en ont rapidement bloqué toutes les issues. Une dame qui venait pour une réunion au même moment s'est fait indiquer par un agent que les lieux seraient bouclés toute la nuit.

Une alarme sonore a alors retenti dans tous les bureaux et un message du directeur général Guy Hébert a invité toutes les personnes présentes à quitter les lieux sans toucher à rien - aucun document ne devait être emporté. Des policiers ont d'ailleurs investi le local des gardiens de sécurité de l'hôtel de ville, d'où ils pouvaient observer la situation grâce aux images captées par les multiples caméras de surveillance.

En sortant, sourire aux lèvres, plusieurs fonctionnaires ne cachaient pas leur satisfaction de voir enfin les policiers débarquer.

Échos à Québec

Scène semblable à la mairie d'arrondissement de Lachine où, selon l'attaché du maire Claude Dauphin, les policiers ont regroupé les employés pour leur expliquer que l'endroit faisait l'objet d'une perquisition. Ils auraient fouillé la plupart des bureaux sans donner plus de détails.

D'autres enquêteurs se sont présentés au même moment au quartier général d'Union Montréal, rue Saint-Paul. Seul le directeur administratif du parti, Louis Lewis, est resté avec eux pendant qu'ils fouillaient les lieux.

Cet événement hors du commun a fait réagir la première ministre du Québec, Pauline Marois. «Je suis profondément déçue de ce qui se passe actuellement parce que je crois que le gouvernement précédent, qui a laissé traîner les choses, a provoqué de tels événements. On n'a pas agi suffisamment tôt pour éviter qu'il y ait des problèmes sérieux qui apparaissent. J'espère cependant qu'ils ne sont pas aussi sérieux qu'ils semblent vouloir l'être», a-t-elle déclaré lors d'un point de presse à Québec.

Financement occulte

Union Montréal a dominé la vie politique montréalaise de 2001 à novembre 2012, lorsque plusieurs élus, dont Michael Applebaum, ont quitté le navire. Au cours des derniers mois, les finances du parti de l'ex-maire Gérald Tremblay se sont retrouvées au coeur de plusieurs témoignages compromettants à la commission Charbonneau.

Plusieurs témoins ont évoqué un système bien rodé où le financement occulte allait de pair avec l'attribution de contrats municipaux.

Par exemple, l'ingénieur Michel Lalonde, PDG de la firme Génius, a raconté avoir versé, de 2005 à 2009, une ristourne de 3% de la valeur des contrats au parti Union Montréal, à la demande de l'argentier du parti, Bernard Trépanier, surnommé «monsieur 3%».

Quant à Lino Zambito, il a aussi affirmé avoir versé une ristourne semblable sur la valeur des contrats municipaux qu'il a obtenus à partir de 2005. L'argent était remis à l'entrepreneur Nicolo Milioto, alias «M. Trottoir», mais M. Zambito aurait été informé qu'elle était destinée, en bout de course, au parti du maire de l'époque.

Onde de choc

En novembre, l'ex-organisateur Martin Dumont a soutenu que les bureaux du parti avaient été le théâtre d'une succession de rencontres discrètes entre «monsieur 3%» et plusieurs entrepreneurs et ingénieurs-conseils, cachés des regards indiscrets derrière les stores fermés de son bureau. Dumont a aussi évoqué l'existence d'une double comptabilité au sein du parti.

Gérald Tremblay a démissionné dans la foulée de ces déclarations, bien qu'une partie d'entre elles aient été niées vigoureusement. Michael Applebaum a quitté la présidence du comité exécutif à son tour quelques jours plus tard, peu avant d'être choisi comme maire indépendant dans le cadre d'une coalition avec les partis d'opposition.

Enquête sur un dossier de dézonage

L'UPAC et l'escouade Marteau avaient déjà frappé en mai 2012 à Montréal. Les policiers avaient arrêté huit personnes, dont Frank Zampino, ancien président du comité exécutif, et Bernard Trépanier, dans le cadre de leur enquête sur le scandale immobilier du Faubourg Contrecoeur.

Dans un tout autre dossier, au début du mois de janvier, La Presse a révélé que l'UPAC avait en main des informations jugées «sérieuses» concernant le maire Michael Applebaum, dans le cadre d'un dossier de dézonage lié au crime organisé. La commission Charbonneau a aussi ouvert une enquête pour vérifier des informations à ce sujet.

Les perquisitions de mardi n'ont toutefois aucun lien avec cette affaire, a-t-on assuré à La Presse.

- Avec la collaboration de Karim Benassaieh et d'Émilie Bilodeau