Dans la souriante sérénité des célébrations du 30e anniversaire du Club Soda, son président Michel Sabourin porte son regard sur la baisse de l'offre de la chanson et de l'humour dans les salles du Quartier des spectacles. Voyant jaune...

Michel Sabourin connaît «la business». Il y a 40 ans, il a débuté comme directeur artistique du Café Campus première moûture avant de fonder les Productions Fogel Sabourin, MusiArt, les Disques Atlantis puis le Club Soda, toujours avec son ami Rubin Fogel.

L'homme a vu neiger, marché dans le blizzard post-référendaire de 1981 quand la production de disques québécois est passée «de 190 à 35». Il était toujours là à la grande éclaircie, du temps où «Marjo donnait 24 shows en ligne».

Lundi, le Club Soda fêtera ses 30 ans avec le méga-spectacle «Je suis né un lundi» pour rappeler les Lundis des Ha-ha de Ding et Dong, ces merveilleuses soirées d'humour qui ont fait naître le Soda de l'avenue du Parc et l'humour québécois tel qu'il se présente aujourd'hui... loin du Club Soda et du Quartier des spectacles.

«Comme une partie de la population francophone, la chanson et l'humour ont migré vers les banlieues», nous dira Michel Sabourin au cours d'une entrevue sur le projet d'étude lancé par la Table de concertation du Quartier des spectacles dont il est le coordonateur. La Table regroupe les 24 salles du secteur, 21 000 sièges au total, qui ont fonctionné en 2010 au tiers de leur capacité. Citant des statistiques de l'Observatoire de la culture et de communications du Québec, Michel Sabourin souligne que rares sont les salles qui connaissent un taux d'occupation supérieur à 65% pour l'ensemble de leur programmation. «Quand on en vient à la chanson francophone, ça tourne plus autour de 50%...»

Comment expliquer cette désaffection? Michel Sabourin cite cette fois les résultats préliminaires d'une étude commune (à paraître en février) de la Ville de Montréal et du Quartier des spectacles, étude lancée à l'initiative de la Table qui comprend un sondage mené auprès de quelque 3000 personnes. «Les gens qui habitent en périphérie de Montréal préfèrent assister à des spectacles dans des salles près de chez eux. Ils ne perçoivent aucune différence dans la qualité des spectacles et ça leur coûte moins cher en billets, en stationnement et en restaurant que s'ils venaient en ville.»

Déséquilibre

Dans les années 90, le mouvement d'accès universel à la culture a amené les gouvernements à subventionner la construction ou la rénovation, en régions, de salles confortables et à la fine pointe de la technologie scénique et sonore. Et, le plus souvent, prises en charge par les municipalités qui assument le service de la dette et autres obligations fiscales. Forts de ces appuis, les diffuseurs locaux sont à même d'offrir de meilleurs cachets aux chanteurs et humoristes. D'où un avantage certain au niveau compétitif par rapport aux salles métropolitaines.

«Montréal reste le moteur, mais les salles de l'île n'ont ni l'aide de la Ville ni accès aux programmes québécois d'aide à la diffusion, dit-il. Et personne ne se demande si elles ont besoin d'un coup de main...»

La baisse de l'offre pour la chanson francophone s'accompagne d'une forte hausse du spectacle anglophone, attribuable en grande partie à evenko, la filiale spectacles du Centre Bell.

«Evenko est propriétaire de la plus grande salle de Montréal et exerce un monopole de fait sur les grands shows internationaux». Selon Sabourin, Evenko a triplé son offre depuis 2003, et ses spectacles attirent régulièrement au-delà de 3000 personnes, 10 000, 12 000 dans le cas des supervedettes. Evenko, rappelle-t-il, exploite aussi le Corona dans le quartier Saint-Henri et fera bientôt son entrée à Laval avec la construction de Place Bell, un projet d'aréna de 120 millions dont il est le maître d'oeuvre.

Spectacles internationaux

Pendant ce temps, dira Michel Sabourin, «de moins en moins de petits producteurs sont capables de présenter des shows internationaux dans le Quartier des spectacles». Le président de la Corporation de développement urbain du Faubourg St-Laurent n'en est pas au cri d'alarme, mais il appelle les intervenants à une réflexion collective. «Qu'est-ce qu'on peut faire, ensemble, pour amener plus de monde dans nos salles?» Ensemble, ça veut dire avec le Partenariat du Quartier des spectacles (au c.a. duquel il siège aussi), un organisme créé par la Ville en 2002 pour piloter l'aménagement extérieur du secteur dont la Place des festivals constitue le joyau unanimement salué.

«Les grands festivals travaillent dans une dynamique davantage touristique que culturelle et, avec Charles Lapointe qui présidait tant Tourisme Montréal que le Partenariat, des progrès immenses ont été réalisés en ce sens. Maintenant, il est temps de se pencher sur la situation des salles qui sont le coeur du Quartier des spectacles.»

«On est rendu au soutien des éléments créateurs du Quartier», disait récemment en ces pages le nouveau président du Partenariat, Jacques Primeau. Tout le monde s'entend sur la mission: c'est une bonne partance.