Trois hommes ont été tués par balle dans la région de Montréal au cours du week-end, dont deux vétérans du gang des Rouges. La police avait averti l'un d'eux qu'il était en danger, sans obtenir beaucoup de collaboration de sa part. Elle croit maintenant que le sang pourrait couler de nouveau sous peu.

Il se passe quelque chose dans les hautes sphères des gangs à Montréal. La police craint de nouveaux assassinats, après un week-end mouvementé au cours duquel le chef des Rouges et un membre influent de son clan ont été tués coup sur coup.

Tout a commencé vendredi soir. Chénier Dupuy, chef des Bo-Gars, le gang le plus important de la grande famille des Rouges, se trouvait avec un acolyte dans un véhicule utilitaire sport de marque Volvo, devant le restaurant Bâton Rouge, aux Galeries d'Anjou.

Soudain, plusieurs coups de feu ont éclaté, et le véhicule a été criblé de balles. Les témoins affirment que deux hommes noirs ont pris la fuite. Chénier Dupuy, atteint au haut du corps, a été transporté à l'hôpital, où sa mort a été constatée.

Son acolyte, qui s'était réfugié dans le restaurant bondé, a été traité pour deux blessures par balle, mais sa vie n'est pas en danger.

Sept heures plus tard, un autre vétéran des Rouges, Lamartine Sévère Paul, a été attaqué alors qu'il rentrait chez lui, boulevard Samson, à Laval, au volant de son Audi A8. Le père de famille de 42 ans a eu tout juste le temps de se garer derrière l'immeuble avant qu'un tireur ne surgisse et ne décharge son arme sur lui.

Le caïd s'est traîné jusqu'à l'avant de l'immeuble et s'est effondré, en sang, devant la porte d'entrée. Ce sont les cris d'horreur de sa conjointe, à l'intérieur, qui ont alerté le voisinage. Malgré leurs efforts les ambulanciers n'ont pu le réanimer.

Samedi après-midi, un autre homme, qui n'a pas été identifié, a ensuite été trouvé mort, atteint par au moins une balle, dans un appartement du chemin de la Côte-des-Neiges. Selon nos sources, les enquêteurs soupçonnent que ce meurtre pourrait aussi être lié à l'attaque contre les Rouges.

Averti à l'avance

Cette explosion de violence n'est toutefois pas une surprise pour tous.

Chénier Dupuy savait que des tueurs étaient à ses trousses. Selon ce qu'a appris La Presse, la Gendarmerie royale du Canada et la police de Montréal l'avaient averti récemment que sa tête avait été mise à prix.

Ce n'était rien de bien nouveau pour lui. Il avait souvent été ciblé par des membres du gang ennemi, les «Bleus», issus du quartier Saint-Michel. Ceux-ci l'avaient même avoué candidement à la police.

Dupuy avait d'ailleurs échappé de justesse aux Bleus lors d'une virée au bar de danseuses Solid Gold, en 2008. Selon le témoignage d'un enquêteur au tribunal, il était sorti en courant pendant que les balles sifflaient autour de lui. Il s'était jeté sur le capot d'un taxi en plein boulevard Saint-Laurent. Le chauffeur avait décollé en trombe, le colosse aplati sur le devant de sa voiture, ce qui lui avait permis d'échapper à ses poursuivants.

Bien conscient de la dangerosité de son mode de vie, le chef des Bo-Gars s'était fait tatouer sur l'épaule droite une arme à feu pointée sur une tête, avec l'inscription «Only stronger survive» (seuls les plus forts survivent).

Une liste de règles de survie saisie chez lui en 2008 par la police énumérait les ennemis auxquels il devait être prêt à faire la guerre: les Syndicate (anciens membres de gangs de rue au service des motards), les gangs d'allégeance bleue ainsi que ce qu'il appelait les «Big Wheel» (les motards) et les «Spaghettis» (la mafia).

Les Bo-Gars ont pu collaborer à l'occasion avec certains de ces groupes criminels, mais la liste démontrait qu'ils les considéraient toujours avec méfiance.

Un pistolet sous le matelas

Lamartine Sévère Paul vivait lui aussi dangereusement. En 2011, lors de son procès pour extorsion, la preuve a révélé qu'il gardait un pistolet chargé sous son matelas. En 2007, un document déposé en cour par la police a révélé qu'il était en guerre ouverte avec un proxénète rival.

Celui que l'on surnommait Polo s'était certainement fait des ennemis en dirigeant son groupe, chargé d'intimider et d'extorquer les gens qui s'étaient endettés ou étaient tombés en froid avec les mauvaises personnes, selon des documents produits en cour par la police. Il travaillait aussi pour l'entrepreneur en construction Tony Magi, que la police lie de près aux incidents qui ont secoué la mafia italienne de Montréal dans les dernières années.

Un cousin de Lamartine Sévère Paul, Ducarme Joseph, a échappé en 2010 à une tentative d'assassinat qui a fait deux morts et un blessé grave.

L'élimination quasi simultanée de deux caïds aussi importants entraînera presque certainement d'autres actes de violence, selon les enquêteurs spécialisés en la matière. Les deux disparus comptaient sur des amis et des membres de la famille loyaux, aguerris et disposant d'une puissance de feu certaine.

«Pendant des années, on disait que les Bo-Gars étaient l'équivalent des Rock Machine [gang de motards impliqué dans une guerre sanglante contre les Hells Angels dans les années 90]. Ils étaient moins nombreux et moins organisés, mais ils compensaient en étant plus violents», a confié à La Presse une source bien au courant du dossier.

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Gangs de rue 101

Bo-Gars C'est le gang dominant du clan des Rouges. Établis principalement à Montréal-Nord et à Rivière-des-Prairies, ils ont aussi des affaires en Ontario, principalement dans les bars de danseuses de la région de Niagara Falls. Selon un rapport de la police de Montréal, leurs activités comprennent meurtres, fusillades à la volée, trafic de crack, introductions par effraction, vols qualifiés et proxénétisme.

Rouges/Bleus Depuis les années 90, une bonne partie des gangs de Montréal se sont regroupés en deux grandes familles rivales, selon le modèle des Crips (Bleus) et des Bloods (Rouges) de Los Angeles, rendus célèbres par la musique et le cinéma américains. Les membres portent foulards et vêtements aux couleurs de leur gang. Récemment, des policiers constatent de plus en plus de collaboration entre des Bleus et des Rouges, malgré les divisions.

OG Les «Original Gangsters», ou «OG» dans le jargon de la rue, sont des vétérans des gangs, plus âgés, qui agissent dans les plus hautes sphères du crime organisé. Ce sont des entrepreneurs du crime pour qui les couleurs n'ont souvent plus autant d'importance, comme l'ont souligné des experts en cour. Ducarme Joseph, qui a fait ses classes dans un gang bleu, peut ainsi faire des affaires avec son cousin Lamartine Sévère Paul, issu d'un gang rouge, s'il y a un profit intéressant à faire.