Après trois jours de manifestations en marge du Grand Prix de Formule 1, la police a pris les grands moyens, dimanche, pour éviter toute perturbation de la course: un déploiement d'effectifs d'une ampleur rarement vue à Montréal, une quarantaine d'expulsions du parc Jean-Drapeau et une trentaine d'arrestations préventives.

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La plupart des personnes arrêtées de façon préventive sortaient de la station de métro Jean-Drapeau lorsqu'elles ont été interpellées. Ciblées comme manifestants potentiels, elles avaient à peine fait quelques pas que des agents les ont menottées, fouillées et détenues temporairement en vertu de l'article 31 du Code criminel, qui permet aux policiers d'intervenir lorsqu'ils ont des motifs suffisants de croire qu'une infraction s'apprête à être commise.

«Des gens ont été interpellés, car ils ont été reconnus comme des gens qui participent à des manifestations illégales et violentes», a expliqué l'inspecteur Alain Simoneau, responsable du service d'ordre pour le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

«La plupart avaient des objets sur eux qui portaient à croire qu'ils s'apprêtaient à manifester sur le site. Nous voulons assurer la sécurité de tous», a ajouté l'agente Anie Lemieux, porte-parole du service policier.

On aurait saisi des pierres, des masques, des lunettes protectrices, du Maalox (médicament utilisé pour lutter contre les gaz employés par la police) et au moins un couteau.

Les policiers ont notamment arrêté une scout qui avait une carte d'accès au site, car elle faisait du bénévolat auprès d'un organisme de recyclage et de ramassage des déchets. C'est une policière qui l'a reconnue, car elle l'avait déjà aperçue dans une manifestation étudiante. La fouille de son sac aurait permis de trouver des articles comme du Maalox.

L'affaire a irrité d'autres bénévoles, qui ont tenté sans succès de la faire libérer. Ils ont souligné qu'on manquerait rapidement d'employés étudiants et de bénévoles s'il fallait refuser l'accès au site à tous ceux qui ont déjà manifesté.

Expulsion du site

Un autre bénévole a affirmé à La Presse avoir été expulsé du site du Grand Prix, possiblement parce qu'il avait été arrêté pour attroupement illégal dans une manifestation nocturne, il y a trois semaines. Neven Kukaric a juré qu'il n'avait aucune intention de perturber la course et qu'il s'agissait de sa troisième ou quatrième année de participation en tant que bénévole. Le jeune homme de 22 ans a dit être surtout intéressé par le chèque d'une soixantaine de dollars remis quotidiennement à chaque bénévole à titre de compensation.

«La police a jugé que ce n'était pas une bonne idée que je reste», lui auraient dit ses supérieurs. «Je ne sais pas ce que la police croit.»

L'organisation du Grand Prix a affirmé ne pas avoir entendu parler de ce cas.

Presque toutes les personnes arrêtées préventivement ont été relâchées sans conditions au cours de l'après-midi. En fin de journée, seules deux d'entre elles demeuraient détenues afin de déterminer si des accusations criminelles seraient portées à leur endroit.

Une quarantaine de personnes ont par ailleurs été expulsées du parc Jean-Drapeau, car elles n'ont pu y justifier leur présence de façon satisfaisante aux yeux des policiers. L'inspecteur Simoneau explique que de telles expulsions ont lieu lors d'autres événements privés, comme le Piknic Electronik.

«Il faut prendre en considération le fait qu'il y avait une menace sur le site aujourd'hui», a souligné le policier. Rappelons que des militants étudiants ou anticapitalistes ont appelé à perturber le Grand Prix et à y manifester.

À cheval, à pied, en vélo, en voiture, en bateau ou en métro, d'innombrables policiers avaient été déployés pour assurer la sécurité de l'événement. Sur la ligne jaune du métro, qui mène au circuit Gilles-Villeneuve, il y avait des policiers dans chaque voiture.

À la sortie de la station de métro Jean-Drapeau, des dizaines d'agents fouillaient les sacs de toute personne jugée suspecte en raison de son comportement ou d'un objet qu'elle semblait dissimuler, ou encore parce qu'elle avait été ciblée par un des enquêteurs spécialisés présents sur les lieux.

L'inspecteur Simoneau a confirmé qu'il n'avait jamais vu un aussi important déploiement policier depuis son entrée en poste, il y a cinq ans.

Quelques arrestations isolées ont aussi eu lieu dans le réseau du métro, notamment pour menaces ou infraction à un règlement municipal. À Laval, un homme de 20 ans a été arrêté avec un fusil à air comprimé et sera accusé de possession d'une imitation d'arme dans un dessein dangereux. À Longueuil, la police a arrêté un homme qui avait fait tôt le matin un appel à la bombe non fondé visant le métro.

DES ARRESTATIONS ET DES FOUILLES CRITIQUÉES

Les centaines de fouilles et les dizaines d'arrestations préventives faites par la police aux abords du circuit Gilles-Villeneuve ont valu son lot de critiques au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Si les employés et les spectateurs du Grand Prix étaient nombreux à remercier les policiers qui veillaient sur l'événement, d'autres utilisateurs du parc et du métro se sont insurgés contre des procédés qu'ils jugeaient abusifs.

«Je m'en allais travailler au casino, et la policière m'a dit que je n'avais rien à dire, que j'étais en état d'arrestation. Elle m'a pris mon sac, c'est une folle», a raconté Jonathan, peu après avoir réussi à prouver son identité et à continuer son chemin au parc Jean-Drapeau.

Les expulsions de citoyens ont aussi fait jaser.

«On s'en allait à La Ronde et ils nous ont demandé nos billets pour le Grand Prix. On n'en avait pas, alors ils nous ont retournés dans le métro», a lancé un jeune homme encadré par deux policiers, pendant que son amie pleurait.

«On n'a pas le droit de pique-niquer aujourd'hui, ç'a l'air», a affirmé Michael Ouellet avant de faire demi-tour avec son amoureuse.

La police affirme que seules les personnes jugées suspectes ont été fouillées. À l'intérieur du métro, les règlements de la Société de transport de Montréal (STM) sur la civilité donnent par ailleurs aux agents une plus grande marge de manoeuvre.

Quant aux arrestations préventives, le SPVM assure que des indices concrets laissaient croire que les gens visés allaient commettre une infraction. Leur comportement, le fait qu'ils semblaient dissimuler un objet ou encore de l'information obtenue en cours d'enquête ont pu attirer l'attention des policiers.

«Arbitraire et abusif»

L'avocate criminaliste Véronique Robert, qui défend certains militants arrêtés depuis le début de la crise, craint toutefois que certains policiers aient outrepassé leurs pouvoirs.

«La fouille à la sortie du métro, ça me paraît complètement arbitraire et abusif. Il y a des gens qui comparent ça au fait de donner son sac en entrant à un spectacle ou dans un bar. Mais ça, ce sont des actes volontaires. Alors qu'aujourd'hui, on parle de gens qui sortaient du métro et qui n'étaient même pas encore en file pour le Grand Prix », a-t-elle lancé.

«Et avant de fouiller, il faut mettre quelqu'un en état d'arrestation. La police doit lui dire si elle est en train d'enquêter sur un crime bien précis et de quoi il s'agit», a ajouté l'avocate.

Quant à l'article 31 du Code criminel, en vertu duquel les arrestations préventives ont été effectuées, elle rappelle qu'il n'enlève rien aux droits fondamentaux des gens visés.

«C'est légal d'arrêter quelqu'un sans mandat, mais il faut que le policier ait des motifs raisonnables de croire que la personne s'apprête à commettre ou vient de commettre une infraction. Ça ne peut pas être une partie de pêche», souligne-t-elle.

- Avec la collaboration de Philippe Teisceira-Lessard