Montréal dit avoir serré la vis aux propriétaires de logements insalubres depuis cinq ans, mais plusieurs tiennent encore tête aux autorités municipales pendant des années avant que les conditions de vie de leurs locataires s'améliorent.

La Presse a fait le tour du proprio. 

> En photos: Logements insalubres à Montréal

L'appel a estomaqué les employés de Montréal. «Est-il normal d'avoir une conduite d'égout brisée à ciel ouvert dans mon salon?», a demandé un locataire au bout du fil. La réponse semblait évidente, mais il faudra tout de même deux mois à la Ville pour réussir à forcer le propriétaire de l'immeuble à faire les réparations.

Cet épisode survenu en 2005 résume à lui seul la partie de bras de fer que les autorités municipales livrent depuis plus de 10 ans à Sam Fattal, qui possède des centaines de logements dans l'île. Inspections, constats d'infraction, injonctions, avis d'éviction: aucune des nombreuses mesures prises contre le propriétaire n'a réussi à régler les problèmes de salubrité dans les six bâtiments commerciaux vétustes qu'il a achetés pour les convertir, sans permis, en immeubles résidentiels.

Un jugement de la cour des petites créances de 2009 détaille les relations difficiles de l'homme d'affaires avec les autorités municipales. Après avoir reçu une plainte le 3 mars 2005, Westmount, qui faisait à l'époque partie de Montréal, dépêche d'urgence un inspecteur au 3035, rue Saint-Antoine. Le fonctionnaire y constate «une excavation au beau milieu du salon dans laquelle on peut apercevoir une conduite d'égout brisée au fond du trou contaminé par des rejets d'origine humaine».

Le fond du trou est couvert d'une eau brunâtre. Comme il craint une infestation de rats dans l'immeuble, l'inspecteur demande aussitôt au propriétaire, présent à l'inspection, de faire les réparations le plus rapidement possible.

Mais après un mois, Sam Fattal n'a toujours rien fait. Celui-ci refuse ensuite de prendre les cinq lettres que la Ville lui envoie par huissier.

Devant son refus d'obtempérer, des employés municipaux se présentent le 22 avril dans le logement pour y découvrir deux hommes en train de remplir le trou de terre, sans pour autant avoir réparé la conduite ou décontaminé le sol.

C'est seulement lorsque la Ville s'apprête à faire elle-même les travaux que le propriétaire finit par s'exécuter, deux mois après que les problèmes eurent été signalés. «Ça dépasse l'entendement qu'un propriétaire responsable se permette de laisser un trou contaminé pendant plus de 50 jours sans trouver une solution rapide», s'est indigné le juge qui a entendu l'affaire.

Guerre continuelle

«C'est une guerre continuelle avec le propriétaire», relate Duncan Campbell, directeur général de Westmount. La Ville dit avoir multiplié les constats d'infraction pour forcer M. Fattal à mieux entretenir son bâtiment. «Ça progresse, mais très, très lentement. Je ne peux pas dire que c'est un succès total parce que le bâtiment est toujours dans un état déplorable. Ça nous prend beaucoup d'énergie», poursuit M. Campbell.

Les problèmes avec cet immeuble continuent de s'accumuler. À la fin de 2011, une partie de la façade s'est effondrée sur le trottoir. Encore une fois, Westmount a dû se tourner vers les tribunaux pour forcer le propriétaire à installer une clôture devant son immeuble.

Le ton est monté si souvent avec le propriétaire que la Ville a obtenu une injonction en 2008 lui interdisant d'entrer en contact avec les employés municipaux, «tant à leur travail qu'à leur domicile ou par télécopieur». «Cette activité doit cesser maintenant», lui a intimé le juge. Pour manifester son mécontentement, M. Fattal a placardé d'affiches son immeuble qu'il a rebaptisé «musée d'histoire de harcèlement par Westmount».

L'homme s'estime victime d'antisémitisme, a-t-il expliqué en cour dans une «défense partielle» de 124 pages transmise à un juge. «Ils abusent et endommagent mon corps frêle et vieillissant en me causant des nuits d'insomnie, des maux de dos, me font perdre mon temps avec des procédures judiciaires corrompues, malicieuses et impertinentes par des abus de pouvoir, du harcèlement, de la haine, de vengeance.»

Locataires menacés d'éviction

L'arrondissement du Sud-Ouest tente lui aussi depuis des années de forcer Sam Fattal à rénover les deux bâtiments commerciaux qu'il possède rue Saint-Rémi, où plusieurs locataires se sont plaints de la présence de punaises et d'infiltrations d'eau. Un des immeubles sera démoli dans le projet de l'échangeur Turcot, mais pour l'autre, l'administration du maire Benoit Dorais a décidé de prendre les grands moyens: à la fin du mois de février, tous les locataires ont reçu un avis d'éviction.

«On veut que M. Fattal ait de la pression pas juste de l'arrondissement, mais de ses propres locataires», explique M. Dorais. Les deux immeubles se trouvent en zone industrielle tandis qu'ils abritent en réalité des logements. En forçant le propriétaire à demander un permis de changement de zonage, l'arrondissement compte l'obliger à rendre ses immeubles salubres.

La tactique semble avoir porté ses fruits, car Sam Fattal s'est présenté à l'arrondissement pour régulariser la situation de ses immeubles. Mais Benoit Dorais reste méfiant envers celui qu'il n'hésite pas à qualifier de «propriétaire croche». Les avis d'éviction ont simplement été suspendus temporairement, au cas où les travaux ne se réaliseraient pas.

D'ailleurs, Sam Fattal, qui devait présenter lundi dernier des plans pour l'amélioration de ses immeubles, a demandé un délai jusqu'à la fin du mois.

Nombre de plaintes déposées à la Régie du logement l'an dernier pour faire déclarer un logement insalubre, dont les deux tiers à Montréal.