À la demande de l'administration Tremblay, au moins une firme de sécurité privée a participé à une vaste enquête sur la firme BCIA, une investigation qui a fini par placer sous la loupe des enquêteurs nul autre que le chef du Service de police de la Ville de Montréal de l'époque, Yvan Delorme.

Trois sources nous indiquent que le maire Gérald Tremblay a reçu, à l'été 2009, des informations précises et troublantes sur la firme BCIA. Le mandat accordé à la firme pour surveiller le quartier général du SPVM, sans le moindre contrat écrit, suscitait des doutes, tout comme le passé de la firme et son dirigeant. Celui-ci accumulait poursuites civiles et pénales et faillites.

Pierre Reid, alors directeur du capital humain, et contrôleur général de la Ville jusqu'à hier, a donc donné le mandat à une firme privée, dirigée par un ancien policier de la SQ, d'enquêter sur BCIA. Au moins une autre firme a obtenu un mandat en appui à cette enquête, pour réaliser de la «surveillance physique».

Mais, au cours de cette investigation, les détectives, qui ont interrogé de nombreux témoins, ont fini par s'intéresser aux liens entre le président de la firme, Luigi Coretti, et le chef du SPVM, Yvan Delorme.

«En avril 2010, Pierre Reid m'a dit qu'il enquêtait sur Yvan Delorme», nous indique une source très bien renseignée, qui a travaillé étroitement avec M. Reid.

Des employés et cadres de BCIA ont été interrogés par la firme privée mandatée par M. Reid. La Presse a parlé avec deux de ces sources. L'une d'elles affirme que le consultant qui l'interrogeait lui a dit qu'il «enquêtait sur Delorme».

«Je me disais que ça allait arriver un jour. Il y avait trop de relations entre Delorme et BCIA.»

Le porte-parole du maire, Darren Becker, nie qu'une telle enquête ait pu viser le chef de police. «On confirme que la Ville a mené une enquête sur BCIA, mais il n'a jamais été question d'enquêter sur Yvan Delorme», nous a écrit M. Becker dans un courriel, hier.

Yvan Delorme assure, de son côté, ne pas être au courant qu'une firme de sécurité privée ait pu s'intéresser à lui. «C'est la première fois que j'entends parler de ça», nous a-t-il dit.

Cependant, nos sources nous indiquent que les détectives privés ont fait, de l'automne 2009 au printemps 2010, des rapports réguliers sur l'avancement de leurs recherches au service des enquêtes de la Ville, et en particulier au patron, Pierre Reid.

Au cours de cette enquête, il a notamment pu être établi que M. Delorme connaissait Luigi Coretti de longue date. Avant sa nomination comme chef de police, M. Coretti l'avait invité dans un chic resto italien. Puis, après sa nomination, le chef du SPVM a rencontré en privé plus d'une fois M. Coretti alors qu'il se trouvait à la tête du SPVM. En 2010, les deux hommes se sont vus au moins une fois, au domicile lavallois hypersécurisé de Luigi Coretti.

Un ex-cadre de BCIA a dit aussi, en entrevue à La Presse, avoir vu le chef de police un soir dans le bureau de M. Coretti. Il a d'ailleurs mentionné ce fait à l'enquêteur de la firme privée.

Or, la loi sur la police est très claire: c'est le ministre de la Sécurité publique qui peut enquêter sur un chef de police, pas la municipalité qui l'embauche.

Plusieurs articles de la loi prévoient le fonctionnement d'une enquête qui touche un chef de police: «Le ministre peut mandater une personne pour faire enquête sur un corps de police municipale, à la demande d'une municipalité qui reçoit les services de ce corps de police ou d'un groupe de citoyens de cette dernière», indique un article.

«Il est anormal que la Ville ait gardé ces informations-là à son niveau, a déclaré Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers de Montréal au cours d'un entretien avec La Presse. Il y avait obligation d'aviser sans délai le ministre de la Sécurité publique.»

Pourquoi la Ville ne l'a-t-elle pas fait? Parce que les soupçons ne relevaient pas du domaine de l'illégalité, mais de l'éthique, nous a expliqué une source policière.

Il fallait aussi avoir recours à des as-enquêteurs, compte tenu de la personnalité de l'une des «cibles», Yvan Delorme, qui connaissait elle-même toutes les techniques d'enquête et de filature. Le choix s'est porté sur des anciens de la SQ, et non du SPVM, pour éviter tout risque de fuite au sein de la police de Montréal.

Le 29 avril 2010, La Presse révélait que BCIA s'était placée sous la protection de la Loi sur la faillite. Un de nos reportages indiquait que l'agence assurait la sécurité des locaux du SPVM, et donnait des détails sur les repas de M. Coretti avec des responsables de la police dans un restaurant de la rue Crescent.

Le lendemain, M. Delorme annonçait à Diane Lemieux, chef de cabinet du maire, qu'il quittait ses fonctions de chef du SPVM. M. Delorme a expliqué aux journalistes qu'il partait pour des raisons personnelles.