«Ma cabane, c'est le penthouse des cabanes.»

John (nom fictif), est sans domicile fixe et il vit sous un viaduc. Sur un terrain appartenant au CN, à l'angle des rues Ann et Wellington, à Montréal, il a érigé un abri de toiles et de palettes de bois.

À l'aube hier matin, il a invité La Presse à visiter ses quartiers. «Moi, j'ai un lit double! Regarde, c'est des douillettes», lance-t-il en soulevant une dizaine de couvertures.

L'intérieur est décoré. Sur les parois de sa cabane, constituées de pancartes trouvées ici et là, il a collé des images de Camaro, du Canadien de Montréal et de jolies filles découpées dans des magazines. L'endroit fait environ cinq mètres carrés.

À l'intérieur, il dispose d'un bidon rempli d'eau, d'un cendrier, d'un tapis sauve-pantalons et d'un pot de chambre. Le reste, il dit l'entreposer dans un casier qu'il loue à proximité.

«Quand je rentre dans ma cabane, c'est un autre monde. Je rentre sous mes couvertures et je transpire. J'ai chaud! Je ne suis pas dans la misère, moi. Pantoute!»

Il s'extasie de longues minutes sur sa construction et, après un silence, il admet: «Moi, je suis ici parce que je n'ai pas le choix. Je ne peux pas aller chez nous. C'est ça ou être en dedans.»

Cet automne, une femme a porté plainte contre lui et l'accuse de violence conjugale. Il doit comparaître en février. En attendant, il se terre sous ses toiles de plastique.

Entre cinq et dix autres sans-abri viennent dormir chaque nuit depuis des semaines près de son campement. Ils y vivent comme une petite communauté. Les uns ont assez de ressources pour entretenir une cabane étanche. Les autres, démunis et intoxiqués, dorment dans un sac de couchage sur un matelas ou des boîtes de carton.

Autour, le sol est jonché de déchets. Des vêtements gelés ont été mis à sécher sur des vélos. Une clôture ceinture le terrain, mais la porte est déverrouillée. Le campement sent l'urine et des pigeons frôlent des hommes qui dorment malgré les trains qui passent au-dessus de leur tête.

«Lui, c'est Bernard. Il boit beaucoup», résume John pour expliquer les conditions de misère dans lesquelles vit son voisin, couché dans les fientes d'oiseau. Les gouttes d'eau qui s'infiltrent par les fissures du viaduc gèlent avant d'avoir atteint le sol près de lui.

Situation illégale

La porte-parole du CN, Julie Sénécal, explique qu'il arrive à l'occasion que de tels campements soient érigés sur les propriétés de l'entreprise. «Nous avons nos propres policiers qui passent pour vérifier que nos terrains demeurent intacts, mais ils patrouillent un territoire immense, explique-t-elle. Ce n'est pas un endroit où ils passent tous les jours.»

La société a toutefois une politique claire: «On va défaire le campement. On va tout de même donner un avis aux personnes qui dorment là-bas afin qu'elles puissent ramasser leurs biens et quitter.» La petite communauté a donc quelques jours pour déménager ou se tourner vers les centres d'hébergement de Montréal.

John compte quant à lui dormir à l'extérieur jusqu'à sa comparution, en février. Il tient à son indépendance. Le jour, il fréquente les refuges pour sans-abri et le soir, lorsqu'il ferme les cloisons de sa cabane, il dit être heureux: «J'ai même un cellulaire! Je vais sur internet! Regarde, c'est la fille de Superman», dit-il en ouvrant son téléphone.

S'il veut vivre à l'extérieur, les organismes qui viennent en aide aux personnes itinérantes sont sans recours. «C'est triste, on veut les aider, mais on ne peut pas légalement les forcer à venir chez nous, explique Manon Dubois-Croteau, de la Mission Old Brewery. Ce sont des adultes. Ils doivent se présenter chez nous de leur plein gré.»