Le prolongement du métro vers Laval est le plus marquant de tous les projets réalisés au cours des 10 années de mise en oeuvre du Plan de gestion des déplacements de la région métropolitaine de Montréal (PGDM), rendu public en 2000. Mais il n'était pas prévu dans le plan.

Le PGDM prévoyait plutôt le prolongement des lignes 4 et 5 du métro, à Longueuil et dans l'est de Montréal. Mais cela ne s'est pas réalisé. Un bureau de projet, créé en 2009, a repris les études, et le prolongement du métro pourrait voir le jour d'ici à 10 autres années.

Cet étonnant paradoxe en matière de planification des transports est quasi «inconcevable» aux yeux de Paul Lewis, professeur à l'Institut d'urbanisme et vice-doyen à la recherche de la faculté d'aménagement de l'Université de Montréal.

C'est pourtant, à son avis, l'un des faits les plus significatifs d'une décennie de virages imprévus et de décisions politiques difficiles à expliquer, qui ont fait déraper la programmation des chantiers et des projets prévus à Montréal par le ministère des Transports du Québec (MTQ).

«C'est une tendance qui persiste d'un plan à l'autre, dit-il. On ne fait pas les projets qui se trouvent dans les plans, mais on en réalise d'autres qui n'y sont pas. C'est comme si on faisait des plans parce qu'on est obligé d'en faire et que le vrai processus de décision n'en tenait pas compte.»

Les plans à long terme ne peuvent pas toujours suivre le cours prévu. À ce titre, M. Lewis rappelle la crise majeure à laquelle a dû faire face le MTQ après l'effondrement du viaduc de la Concorde, à Laval, en septembre 2006. Cette tragédie a fait cinq morts et a traumatisé une bonne partie de la population du Québec. Elle a aussi entraîné un changement radical des priorités du MTQ en faveur de la sécurisation des infrastructures existantes.

En réponse aux critiques du Vérificateur général du Québec sur le PGDM, l'an dernier, le MTQ a d'ailleurs indiqué que le pourcentage des chaussées jugées «en bon état» dans le réseau montréalais est passé de 42,8% à 75% en moins de 10 ans.

Ce revirement spectaculaire n'a toutefois pas ralenti l'expansion du réseau routier de la banlieue, note M. Lewis, qui s'est spécialisé dans des relations entre les infrastructures de transports et le développement urbain.

Selon lui, les nombreux projets de prolongement d'autoroutes (A25, A30) mis en chantier au cours des dernières années vont faire augmenter l'utilisation de l'automobile, ce qui constitue «un signe inquiétant pour Montréal».

Des gestes positifs

À la Ville de Montréal, la responsable des dossiers de transports, Manon Barbe, n'estime pas que Montréal a été désavantagé au cours des 10 dernières années, même si l'essentiel des réalisations du PGDM s'est concrétisé en banlieue.

«Le Québec ne s'arrête pas aux frontières de l'île de Montréal et le MTQ fait ce qu'il a à faire», a commenté Mme Barbe, qui affirme que l'administration Tremblay n'entretient pas de grief envers le Ministère malgré le bilan mitigé du PGDM.

Mme Barbe s'est dite «encouragée» par la mise en oeuvre de nombreux projets de transports en commun, comme le prolongement du métro à Laval et la création de nouvelles lignes de train de banlieue «qui permettent à un plus grand nombre de résidants de l'extérieur de l'île de ne pas utiliser leur voiture pour entrer à Montréal».

Paul Lewis va dans le même sens: «Montréal ne peut pas se définir en opposition avec sa banlieue, mais en complémentarité avec elle.» Et cela est particulièrement vrai en matière de routes et de transports collectifs, où la ville et les banlieues «sont dans le même bateau».

«Le problème réside plutôt dans le déséquilibre entre le transport routier et les transports collectifs, poursuit-il. On a augmenté la capacité routière un peu partout sans offrir d'équivalent en transports en commun.»

En ce sens, le PGDM a lamentablement échoué à atteindre l'un de ses principaux objectifs, soit réduire la congestion routière, conclut M. Lewis, qui souligne que la première page de ce plan, publié en 2000, portait un sous-titre révélateur: «Pour une décongestion durable».

Le PGDM mettait l'accent sur les embouteillages à l'entrée des ponts de Montréal, explique M. Lewis. Investir dans le métro de Laval et dans les trains de banlieue avait donc du sens.

«Sauf qu'en augmentant la capacité routière en banlieue, on se retrouve, 10 ans plus tard, avec des trains de banlieue bondés et un volume de circulation automobile qui n'a pas du tout diminué» dans le centre de l'agglomération.

«C'est assez préoccupant.»

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Le MTQ n'a jamais fait le suivi de son plan

Le Vérificateur général du Québec a durement critiqué Transports Québec, l'an dernier, parce qu'il n'y avait pas d'analyses coûts-bénéfices à l'appui des projets prévus au PGDM et qu'il ne faisait pas de suivi de la mise en oeuvre de son plan.

Dans un rapport publié en 2009, le Vérificateur a estimé que, malgré des promesses d'investissements de plusieurs milliards de dollars, le ministère des Transports n'est pas parvenu, en 10 ans, à créer «un mécanisme permanent et formel» pour assurer que les municipalités, les sociétés de transports et les autres acteurs du secteur s'entendent sur les projets prioritaires.

L'absence d'un véritable suivi des projets du PGDM, réalisés ou non, fait aussi en sorte que le plan du Ministère n'a jamais été adapté aux changements importants survenus depuis 2000, comme la nécessité de réduire les gaz à effet de serre produits par les automobiles ou l'adoption d'un plan de transport axé sur les transports collectifs par la Ville de Montréal.

Quant aux coûts estimés des projets inscrits au PGDM, ils n'étaient «plus représentatifs de la situation actuelle». Le Vérificateur a ainsi révélé que le coût total des huit projets analysés dans le cadre de ses travaux est passé de 1,3 milliard à 5 milliards de dollars, une hausse de 285% depuis 2000