Un nouveau front vient de s'ouvrir dans la lutte contre les coupes forestières sur les terres publiques situées dans les municipalités, deux ans après une première escarmouche au Mont-Kaaikop, dans les Laurentides.

Le nouvel épicentre de cette révolte - qui, si elle est couronnée de succès, a le potentiel d'être imitée ailleurs au Québec - se trouve à Chertsey, dans Lanaudière, où plus de 150 personnes ont participé mardi soir à une séance de consultation publique houleuse.

Le maire Michel Surprenant et de nombreux résidants et villégiateurs s'opposent avec véhémence aux coupes planifiées par la MRC de la Matawinie à proximité du chapelet de lacs qui fait le charme de cette municipalité de 5000 habitants.

« Notre marque de commerce, c'est la nature. Une coupe de bois autour d'un lac, c'est une moins-value. Les gens ne viennent pas ici pour regarder une friche industrielle ! », dit le maire Surprenant.

Les coupes envisagées auraient lieu dans des terres publiques intramunicipales (TPI, voir plus bas) jouxtant les grands lacs de Chertsey, un secteur de villégiature depuis le XIXe siècle, à une heure au nord-est de Montréal.

Les craintes des résidants permanents et des propriétaires de chalets sont multiples : détérioration des bassins versants et augmentation des concentrations de phosphore dans les lacs, destruction des paysages qui les ont incités à s'établir dans ce coin de pays, circulation de machinerie lourde dans des zones densément peuplées.

Pendant plus de deux heures, mardi, les citoyens se sont succédé au micro, unanimes dans leur opposition. « Pourquoi s'acharner autour de lacs où il y a des familles, des jeunes enfants ? Pourquoi venir couper en plein milieu des plus beaux lacs de Chertsey ? », a lancé Jacques Drouin, président de l'Association des résidents du Septième Lac, le plus grand plan d'eau de la municipalité.

Propriétaire d'un chalet, le comédien Benoit Gouin a lui aussi livré un vibrant plaidoyer devant la délégation de la MRC venue présenter le plan d'aménagement forestier. « Oui, on a besoin de l'exploitation forestière au Québec, mais pas nécessairement là, en plein coeur d'une zone de villégiature ! »

Face à ce barrage, qui s'ajoutait à une pétition de 1200 noms réclamant la création d'une aire protégée, le préfet Gaétan Morin a reconnu que « l'acceptabilité sociale n'est pas là à Chertsey ». « Et s'il n'y a pas d'acceptabilité sociale, ce n'est pas demain qu'on va couper des arbres », a-t-il ajouté, précisant qu'il demanderait une rencontre avec la vice-première ministre Lise Thériault, responsable de la région de Lanaudière, pour faire valoir ce point de vue.

Effet boule de neige?

L'approbation finale du plan d'aménagement forestier revient au ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP). Celui-ci pourrait-il accepter l'abandon des projets de coupes à Chertsey en raison de la grogne populaire ? Rien n'est moins sûr. « Ils vont avoir l'oreille du ministre, mais de là à obtenir l'abolition de toutes les coupes, c'est peut-être trop demander », dit Luc Bouthillier, professeur au département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval. « Ce sera toujours un compromis. Personne ne peut tout avoir. »

Le Ministère pourrait craindre que ce précédent « fasse boule de neige », reconnaît le maire de Saint-Donat Joé Deslauriers, qui préside le comité des TPI pour la Matawinie.

« Ils vont réfléchir pas à peu près avant de prendre la décision, parce que la décision va avoir du poids. Ça peut avoir un effet sur d'autres communautés qui pourraient invoquer l'absence d'acceptabilité sociale, comme à Chertsey », dit Joé Deslauriers, maire de Saint-Donat.

La mobilisation des gens de Chertsey est d'ailleurs elle-même en partie inspirée par le combat mené dans la MRC voisine des Laurentides. Une coalition a obtenu il y a deux ans une injonction interlocutoire afin d'empêcher l'exploitation forestière d'une autre TPI, dans le secteur du mont Kaaikop, plus haut massif de la région après le mont Tremblant.

En décembre dernier, le MFFP a indiqué qu'il retirait le chantier prévu au mont Kaaikop de sa planification et a promis la tenue d'une nouvelle consultation publique. « Il n'est pas au sommet de la hiérarchie, mais on sent que le nouveau directeur régional du MFFP, qui est en poste depuis moins d'un an, a une grande ouverture d'esprit », dit Claude Alexandre Carpentier, coordonnateur de la Coalition Mont-Kaaikop.

À Chertsey, les résidants espèrent que le discours rassurant de la MRC portera ses fruits. « J'ai senti qu'il y a une écoute, une ouverture à nos commentaires, dit Benoit Gouin. Mais il faudra toujours être vigilants. »

______________________

Superficie des TPI à Chertsey

La Matawinie est l'une des 28 MRC québécoises qui ont conclu avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) une entente qui leur donne la responsabilité de l'exploitation forestière dans les terres publiques intramunicipales (TPI). Ces terres appartiennent au gouvernement québécois même si, comme leur nom l'indique, elles sont situées à l'intérieur des limites des municipalités. Le volume de bois qui peut y être récolté est établi par le Forestier en chef du Québec. La MRC doit ensuite élaborer et mettre en oeuvre un plan d'aménagement forestier, en tenant compte notamment des commentaires du public, d'où la consultation de mardi à Chertsey. Le plan final doit être approuvé par le ministre.

L'art de mieux consulter

La consultation publique en foresterie est un art qui gagnerait à être mieux maîtrisé, estime le professeur Luc Bouthillier, de l'Université Laval. « On ne s'y prend pas de la bonne façon. Il faut parler pour être compris et éviter de tout noyer dans un discours technique, qui ne fait qu'alimenter le scepticisme », dit ce spécialiste. Un exemple, relevé par un citoyen de Chertsey, mardi soir : le plan d'aménagement forestier de la MRC de la Matawinie compte trois pages complètes d'acronymes ! Il faut aussi adapter son discours. À Chertsey, certaines photos utilisées par l'ingénieure forestière de la MRC pour décrire les différents types de coupes avaient été prises en forêt boréale. Or, on intervient de manière beaucoup plus douce dans un secteur comme le sud de Lanaudière, souligne le professeur Bouthillier : « On fait quasiment du jardinage, où chaque arbre a un traitement particulier. Ce n'est probablement pas approprié de faire des coupes à blanc dans ce territoire. » En braquant les populations, résume-t-il, on risque en bout de course de nuire à l'approvisionnement de scieries locales et de freiner le développement économique régional.

PHOTO BEN NELMS, ARCHIVES BLOOMBERG

Le volume de bois qui peut être récolté sur ces terres est établi par le Forestier en chef du Québec.