Un problème de conception de la station de pompage de Longueuil pourrait expliquer la cascade d'événements ayant mené à la contamination de l'eau potable de la ville, estime un spécialiste. Un tel accident pouvant survenir dans d'autres villes, Benoît Barbeau propose d'imposer de nouvelles normes pour mieux isoler les carburants utilisés à proximité de ces installations névralgiques.

«On ne pourra jamais empêcher d'avoir du diesel dans une station de pompage parce qu'on en a besoin pour alimenter en urgence les pompes en cas de panne. Ce qu'il faudrait, c'est repenser ou mettre des normes sur la façon d'isoler de façon très étanche le diesel de la source d'eau brute utilisée pour l'eau potable», dit ce professeur de Polytechnique Montréal. Directeur du Centre de recherche, développement et validation des technologies et procédés de traitement des eaux à Polytechnique, il a aidé Longueuil au cours des derniers jours à remettre en état son réseau d'eau.

Pour comprendre les événements survenus depuis mercredi à Longueuil, Benoît Barbeau a accepté, à la demande de La Presse, de remonter le fil de l'eau... contaminée.

1. Lacune de conception

La prise d'eau de Longueuil est située dans le fleuve, un peu à l'est du pont Jacques-Cartier. Acheminée dans un puits, l'eau brute doit ensuite être pompée jusqu'à l'usine de filtration pour devenir potable. En cas de panne, la station de pompage est munie d'une génératrice pour éviter toute interruption de service. Le réservoir de diesel est situé à l'extérieur, mais il est relié à la génératrice par une conduite. «Pour le moment, il n'existe pas de normes à suivre. C'est laissé au soin du concepteur et de l'exploitant», déplore Benoît Barbeau.

2. Déversement accidentel

La conduite liant le réservoir de diesel à la génératrice de la station a cédé dans la nuit de mardi à mercredi, libérant de 20 000 à 28 000 litres de diesel. La majorité des hydrocarbures s'étant retrouvé sur le plancher a abouti dans les égouts, mais une partie s'est infiltrée dans la dalle de béton du plancher, par une fissure ou un joint non étanche. Sous la dalle se trouve le puits d'eau brute. Plus léger que l'eau, le diesel s'est principalement retrouvé en surface, facilitant sa récupération. Une partie des hydrocarbures s'est tout de même mélangée à l'eau brute et a fini par être pompée vers le réseau de Longueuil.

3. Filtrés en partie

Une fois pompée, l'eau brute est acheminée à l'usine de filtration régionale. Elle y subit des traitements (décantation, filtration, chloration) avant d'être envoyée dans le réseau d'aqueduc. «La barrière qui est en place permet de filtrer une partie des hydrocarbures, mais ça n'a pas été fait pour les éliminer complètement. Visiblement, dans ce cas, ç'a été insuffisant», dit Benoît Barbeau. Il coûterait trop cher de filtrer tous les polluants, précise-t-il. «On dit souvent en boutade que n'importe quelle eau peut être traitée; ça dépend juste si tu la filtres dans assez d'argent.»

4. Réseau contaminé

Une fois l'étape de l'usine de filtration passée, l'eau contaminée s'est retrouvée dans tout le réseau d'aqueduc. Même si Longueuil dit avoir rapidement éliminé la contamination à son puits d'eau brute, des traces d'hydrocarbures ont ainsi pu être détectées un peu partout plusieurs heures après la fin du déversement. En fait, il faut environ 48 heures pour changer complètement l'eau de tout le réseau de Longueuil, dit Benoît Barbeau.

5. Nettoyage complexifié

Le nettoyage des traces d'hydrocarbures dans le réseau a été compliqué par le fait que le déversement est survenu en plein hiver. «En plein été, tu peux ouvrir un paquet de bornes-fontaines pour faire sortir l'eau. Mais aller faire ça en janvier, ça demande pas mal plus de planification», explique Benoît Barbeau. Celui-ci mentionne qu'une telle manoeuvre doit aussi être soigneusement planifiée parce que le brassage risque de remettre en circulation des dépôts, ce qui mènerait en fin de compte à un avis d'ébullition. C'est ce qui s'est passé à Montréal en mai 2013.

6. Odeur accentuée

Le fait que les citoyens aient détecté l'odeur de gaz avant la Ville de Longueuil n'étonne pas Benoît Barbeau. «Ça laisse penser que ce n'était pas une contamination massive, sinon ils s'en seraient aperçus avant à l'usine de filtration.» Pour expliquer la forte odeur chez les citoyens, l'universitaire évoque les particules blanches qui peuvent apparaître lorsqu'on fait couler de l'eau. «C'est dû à un phénomène de dégazage parce qu'on a pressurisé l'eau.» Quand l'eau sort du robinet, la pression diminue et l'eau libère les particules odorantes, comme celles de diesel.

7. Diesel dans le fleuve

Une fois utilisée, l'eau est acheminée à l'usine d'épuration, située à la pointe ouest de l'île Charron, qu'une entreprise privée, Aquacers, gère pour Longueuil. Même si c'est en fin de parcours, c'est ici qu'on a détecté en premier la contamination lorsqu'on a noté une dégradation de la qualité des eaux usées. Selon nos sources, on aurait attendu avant de la signaler pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'un phénomène ponctuel, comme il en survient fréquemment. Tout comme l'usine de filtration, l'usine d'épuration n'élimine pas tous les hydrocarbures, d'où le fait que du diesel a fini par se retrouver dans le fleuve. «L'usine va en avoir retenu une partie, mais elle n'a pas été conçue pour ça parce qu'il est interdit d'en déverser dans les égouts, alors on ne devrait pas en retrouver», dit Benoît Barbeau.