Au lendemain de sa victoire à la mairie de L'Assomption, Jean-Claude Gingras s'est envolé pour une semaine de vacances au Mexique. À son retour, le 13 novembre 2013, il a prêté serment. Le lendemain, il a suspendu avec salaire son directeur général, Martin Lelièvre, pour « faute lourde ». Six mois plus tard, le plus haut fonctionnaire a été congédié sur la base d'une enquête interne menée en solitaire par le maire, sans trace écrite.

« Ce n'était pas une surprise, j'avais dit durant la campagne électorale que je ne pensais pas être en mesure de travailler avec lui. J'avais assez d'indices pour que M. Lelièvre ne soit pas directeur général », a dit le maire Gingras à l'ouverture de son témoignage, hier, à l'enquête publique sur L'Assomption.

Le procureur en chef de la Commission municipale du Québec (CMQ), MeJoël Mercier, a longuement interrogé le maire sur ses connaissances en politique municipale avant d'être élu pour la première fois. Ce dernier a affirmé qu'il ne connaissait pas les pouvoirs du conseil municipal le jour de la suspension du directeur général.

« On ne savait même pas où on s'en allait », a ensuite admis M. Gingras au sujet de sa première assemblée municipale, le 19 novembre 2013. À ce moment-là, a-t-il expliqué, il n'avait pas pris connaissance du code d'éthique et de déontologie, pas lu la politique de la gestion contractuelle, ni la politique d'approvisionnement ou le règlement en matière de contrats. Et ce n'est que trois mois après son élection qu'il a pris connaissance de la politique sur le harcèlement psychologique de la municipalité.

« Le directeur général utilisait trop extraordinairement ses pouvoirs. Non, je n'avais pas non plus lu le règlement sur la délégation de pouvoirs de dépenser du directeur général », a-t-il ajouté, encore au sujet de ses connaissances sur la politique municipale.

Conduite avec facultés affaiblies

Malgré une résolution du conseil municipal lui « ordonnant » de déposer un rapport d'enquête écrit, M. Gingras n'a pas cru nécessaire d'en rédiger un. « On avait très peu de documents pour alimenter un rapport solide », a-t-il dit. Puis, il a affirmé devant les juges de la CMQ que ses priorités ont changé quand il a été arrêté pour conduite en état d'ébriété par le service de police de L'Assomption. « C'était le bordel dans la ville. Je ne me souviens plus si j'avais demandé à Me Comeau, à l'époque, s'il y avait assez de preuves contre le directeur général. »

Le maire de L'Assomption a aussi raconté que la « faute lourde » reprochée à M. Lelièvre concernait la vente du garage municipal à un prix dérisoire, selon lui. Le procureur en chef lui a fait remarquer que cette transaction avait été approuvée en bonne et due forme par les élus de l'ancien conseil municipal. Ce à quoi il a rétorqué qu'il avait d'autres reproches à formuler au directeur général, concernant des projets approuvés par résolution au conseil municipal, notamment un projet de piste cyclable.

Durant la journée, M. Gingras a aussi été interrogé sur la suppression du poste de la responsable des communications, Stéphanie Chénier, dans la foulée de la suspension du directeur général. Il a raconté qu'il n'a pas cru bon de rencontrer les différents directeurs des services de la municipalité durant sa première année de mandat. Cependant, lors d'un week-end de préparation budgétaire, en novembre 2013, il n'a pas hésité à demander à chacun d'eux de lui indiquer les services où il y avait du « gras » à couper. « Le monde m'a élu pour faire le ménage. Tout le monde le savait. Je viens du privé, oui, j'ai dit en décembre 2013 que les décisions qui viendront seront lourdes de conséquences. »

Le témoignage de M. Gingras se poursuit aujourd'hui. Il sera notamment question du respect des processus dans l'attribution des contrats. Depuis son élection, la municipalité fait face à deux poursuites pour rupture de contrat, dont une réclamation de 1 million en dommages et intérêts. Rappelons que près d'une quinzaine de cadres ont été congédiés, suspendus ou sont en congé de maladie depuis l'élection de M. Gingras. Le directeur général actuel, Jean Lacroix, visé par l'Unité permanente anticorruption, doit témoigner demain. M. Gingras, lui, est notamment accusé d'abus de confiance au criminel.

Le maire blâmé par la CMQ

Le maire Gingras n'avait pas encore commencé à témoigner, hier, qu'il recevait déjà un blâme de la juge Sandra Bilodeau, qui préside l'enquête. La juge lui a reproché d'avoir réservé son droit de veto lors du conseil municipal de L'Assomption, mardi soir, concernant un changement d'avocat pour représenter la Ville. En effet, quatre élus sur six ont demandé que Me Yves Chainé, de la firme Bélanger Sauvé, et non Me André Comeau, représente la Ville devant la Commission. Les deux avocats étaient donc présents aux audiences. « C'est déplorable que le mandat ait été soumis au veto, a dit la juge au maire. J'ai devant moi deux procureurs assis sur une chaise instable. »