Dans quelques semaines, Jean-Pierre pourrait bien quitter l'aide sociale. L'ancien toxicomane de 40 ans est abstinent depuis près d'un an. Il suit actuellement une formation d'aide-cuisinier dans un centre de réinsertion sociale. Mais voilà, la Maison l'Exode où il réside pourrait bien fermer ses portes si les changements à l'aide sociale proposés par la ministre Agnès Maltais deviennent réalité en juin.

C'est là tout le paradoxe de la réforme proposée par la ministre: elle ferait carrément fermer les sept centres, disséminés à travers le Québec, qui constituent la dernière étape des thérapies de réhabilitation pour les toxicomanes: les centres de réinsertion sociale. Ceux où les ex-toxicomanes apprennent un métier qui leur permettra enfin de quitter... l'aide sociale.

Selon les changements proposés par la ministre, au-delà de 90 jours de thérapie, les centres ne pourraient plus réclamer de frais de séjour au ministère de l'Emploi et de la Sécurité du revenu. L'État leur verse actuellement 48,56$ par nuitée. Comme c'est la seule source de revenus de ces centres de thérapie, les bénéficiaires devraient donc assumer eux-mêmes les frais de séjour. Impensable avec un chèque d'aide sociale, d'autant plus que la ministre veut aussi couper le supplément de 129$ dont bénéficient les prestataires hébergés dans ces centres. Plus de 2000 prestataires seraient touchés, selon les chiffres mêmes du ministère.

«On veut mettre des balises sur ce programme», dit Agnès Maltais, qui plaide que dans certains cas (une vingtaine au total) les thérapies s'étendaient sur près de deux ans et demi. Dans 65% des cas, les thérapies durent moins de 90 jours, indique la ministre. Une rencontre a eu lieu avec les centres hier. «On est satisfaits, mais on demeure très vigilants parce que la ministre ne nous a pas encore donné de délai précis», souligne Vincent Marcoux, de l'Association des centres de thérapie du Québec. Avec le règlement proposé par Mme Maltais, 19 des 54 centres de thérapie au Québec fermeraient leurs portes, dit-il.

Souvent un long parcours

De nombreuses études démontrent que les thérapies de trois mois sont bien souvent insuffisantes (voir autre texte). Dans le cas de Jean-Pierre, le parcours a été long, beaucoup plus long que ces 90 jours. Il a d'abord suivi une désintoxication de deux semaines. Ensuite, une thérapie en centre de six mois. Puis, il y a trois mois, il a abouti à L'Exode. «Si on applique les mesures de Mme Maltais, il est certain que Jean-Pierre ne vient pas chez nous parce qu'on est rendu bien au-delà des trois mois. On l'a perdu», souligne Martin Lafortune, directeur général du centre, situé dans Hochelaga-Maisonneuve.

C'est que Jean-Pierre a un passé lourd. Il y a un an, il était héroïnomane. Il s'était prêté, en vain, à plusieurs thérapies. Il a fait plusieurs années de prison. Et maintenant, après 10 mois en centre, il est pratiquement prêt pour le marché du travail.

«Plusieurs de nos bénéficiaires sont des succès: ils ne sont plus sur l'aide sociale et paient des impôts. Avec ces nouvelles mesures, nous, on n'existe plus», dit M. Lafortune. Si les mesures se concrétisent en juin, comme c'est prévu, «notre conseil d'administration va devoir se pencher sur le scénario d'une fermeture ou d'un changement total de mission», ajoute-t-il.

Même scénario à la maison Pharillon, qui se trouve aussi dans Hochelaga-Maisonneuve. On y offre la thérapie, d'une durée de 16 semaines, suivie d'une étape de réinsertion, qui dure généralement plusieurs mois. «C'est notre survie même qui est en jeu. Et si on ferme, ce sont les hôpitaux et les prisons qui vont écoper», résume Lyne Cauchon, directrice du centre. Cette étape de réinsertion est cruciale, croit-elle. «Les trois mois de thérapie se passent généralement bien parce que les gens sont très encadrés. Après, les gens doivent acquérir l'autonomie: le vrai travail commence. Ça, ça ne se fera plus. On va dire à la personne 'va-t-en et trouve-toi une job'», dit-elle.

Photo David Boily, La Presse

Si les mesures se concrétisent, l'Exode va devoir se pencher sur un scénario de fermeture, craint Martin Lafortune, directeur général du centre.