Un nouveau règlement sur la marijuana médicale doit entrer en vigueur au printemps. Dans tout le Canada, des entreprises se préparent à la création de la «nouvelle» industrie, tandis que des avocats planifient une autre offensive constitutionnelle.

Si tout se passe comme prévu, d'ici un an, Sam Mellace prévoit être à la tête d'une société lucrative, inscrite en Bourse et qui se consacre à la production et la distribution de marijuana médicale à des dizaines, des centaines, voire des milliers de patients au Québec, au Canada et dans le monde entier.

L'homme de la Colombie-Britannique se prépare depuis 10 ans aux changements annoncés en décembre par Santé Canada, qui propose de créer une «nouvelle industrie» légale de la marijuana médicale. Son entreprise, New Age Medical Solutions, possède déjà des installations à Laval et en Ontario.

C'est à Mission, à une centaine de kilomètres de Vancouver, que se trouve le gros de ses activités.

Le complexe au milieu des montagnes ressemble à une forteresse, protégé par des clôtures barbelées, des chiens de garde, une porte d'entrée fortifiée et des caméras de surveillance. Dans un long bâtiment blanc poussent quelque 300 plants de marijuana, qui laissent s'échapper une puissante odeur de mouffette. Un autre bâtiment, un peu plus petit, abrite un laboratoire: c'est là qu'on transforme une partie de la récolte en onguents, en biscuits, en beurre ou en d'autres produits de consommation.

Sous le régime actuel, l'entreprise de M. Mellace ne produit que pour un maximum de quatre patients par site, dont pour lui-même - ce qui lui donne quand même une possibilité de production de près de 200 g par jour, rien qu'en Colombie-Britannique.

«On ne fait pas de profits de la manière dont les choses sont structurées à l'heure actuelle», déplore malgré tout celui qui a déjà allumé un joint dans la Chambre des communes pour protester contre les règles fédérales. «C'est pour cela que je me bats pour la création d'un secteur privé depuis aussi longtemps...»

«Dieu merci, c'est arrivé!»

Virage privé lucratif

Partout au Canada, des entrepreneurs se préparent en vue de la création de l'industrie de la marijuana médicale. Les changements annoncés prévoient entre autres qu'Ottawa donnera d'ici un an le contrôle total de la production et de la distribution à des petites et moyennes entreprises (PME).

À l'heure actuelle, les quelque 30 000 personnes autorisées à posséder du cannabis ont trois options pour s'approvisionner: ils peuvent le faire auprès d'un sous-traitant du gouvernement, par l'entremise de Santé Canada, ils peuvent faire pousser eux-mêmes la quantité prescrite par un médecin ou ils peuvent demander à un tiers de la produire pour eux.

Le règlement proposé, qui fait l'objet de consultations jusqu'à jeudi, doit entrer en vigueur au printemps. Si rien ne change, Santé Canada se retirera totalement de l'équation à partir du 31 mars 2014.

Le terrain sera alors laissé à des PME qui se partageront un marché qui pourrait être très lucratif.

D'ici 10 ans, le nombre de détenteurs de permis de possession pourrait passer de 30 000 à 300 000 personnes, selon Santé Canada. À un prix anticipé de 8$ le gramme, et à une moyenne actuelle de 10 grammes autorisés par jour par personne, les ventes annuelles pourraient rapidement atteindre des milliards de dollars.

C'est sans parler des possibilités qu'offre le marché de l'exportation vers les États (américains) ou les pays qui le permettent... «Si on se tourne vers l'extérieur, on envisage un marché bien au-delà de 100 millions de personnes», estime Sam Mellace.

Santé Canada n'avance pas de chiffres quant aux revenus potentiels des nouvelles entreprises. Mais le Ministère ne semble pas douter non plus de la viabilité du marché. «Dans la première à la deuxième année suivant la création de l'industrie, les producteurs autorisés devraient, d'après les prévisions, ne plus se définir comme de petites entreprises», peut-on lire dans la proposition règlementaire.

L'appel du marché noir

Or, plusieurs soulignent qu'il existe déjà une industrie de la marijuana médicale, quoi qu'en dise le gouvernement.

Maureen (nom fictif) loue sa grange et sa maison d'invités en Colombie-Britannique à deux personnes. En plus de leur loyer, ces dernières paient une certaine somme à quatre détenteurs d'une autorisation de possession de marijuana médicale, pour agir à titre de producteurs désignés. Au gré de leur récolte de quelques centaines de plants, ils leur remettent les quelques dizaines de grammes sur lesquels ils se sont entendus au préalable. Le reste est écoulé sur le marché noir.

«C'est pour ça que les gens le font légalement... Oui, on aide les patients. Mais on peut aller chercher un revenu pour nous aussi», explique Maureen.

Ce risque de diversion, que Maureen évalue «à la moitié ou aux trois quarts de la production de marijuana médicale», a été l'une des raisons évoquées par le gouvernement pour justifier les changements. On espère qu'un marché plus petit, plus contrôlé et aux normes de sécurité plus strictes sera plus facile à surveiller.

«Un simple règlement ne peut pas arrêter 100% des abus, convient Jeannine Ritchot, directrice des réformes règlementaires de la marijuana médicale à Santé Canada. Mais nous croyons qu'on a vraiment présenté un cadre qui pourra beaucoup plus réduire ces risques-là.»

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Des revendeurs aux PME

2000 La Cour d'appel de l'Ontario (affaire Parker) juge que l'illégalité de la possession de marijuana viole la Charte des droits et libertés pour ceux qui en ont besoin à des fins médicales.

2001 Le Règlement sur l'accès à la marijuana à des fins médicales entre en vigueur et établit un cadre pour permettre l'accès à de la marijuana séchée avec l'autorisation d'un médecin.

2003 En réponse à une décision judiciaire, qui dénonce le manque d'accès raisonnable à un approvisionnement légal, Santé Canada a recours à une entreprise des Prairies pour en faire pousser pour le gouvernement.

2009 Une série de décisions invalide certaines des limites au nombre de patients qu'un producteur peut desservir.

2012 Au terme d'une consultation amorcée l'année précédente, Santé Canada présente sa proposition de réforme règlementaire.

2013 Le nouveau programme doit entrer en vigueur au printemps.

2014 À partir de la fin du mois de mars, seules les sociétés autorisées pourront faire pousser de la marijuana à des fins médicales.

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En chiffres

884 C'est le nombre d'autorisations de possession de marijuana médicale qui avaient été accordées au Québec en décembre dernier. C'est peu, comparativement à la Colombie-Britannique (13 362), à l'Ontario (8617) et même à la Nouvelle-Écosse (1864). Santé Canada n'a pu expliquer le phénomène. Mais selon Adam Greenblatt, directeur général de la Société pour l'accès au cannabis médical à Montréal, l'écart pourrait être causé par la réticence des médecins québécois à prescrire un produit thérapeutique non homologué. «Le Collège des médecins du Québec est peut-être le collège le plus réticent sur cette question», dit-il.

33 C'est le nombre de demandes envoyées à Santé Canada jusqu'ici par des personnes qui souhaitent mener des activités de recherche et développement pour se préparer aux nouvelles règles. Ceux qui sont autorisés à le faire ne pourront pas automatiquement participer au nouveau programme, précise toutefois le gouvernement. Les prévisions incluses dans la proposition de règlement parlaient de 50 à 60 entreprises.