Au Canada, aux États-Unis et en France, des contraceptifs oraux de dernière génération sont montrés du doigt par des femmes qui ont contracté de graves problèmes de santé. Les requêtes judiciaires s'accumulent notamment contre la firme Bayer, qui se dit convaincue que ses produits sont sûrs.

Geneviève Gladu, 33 ans, est mère d'une fille de 5 mois. Un petit miracle, dit-elle. En 2009, alors qu'elle prenait le contraceptif oral Yasmin depuis environ deux ans, cette Montréalaise a bien failli mourir sur une civière.

«J'avais de gros maux de ventre, des nausées et des vomissements depuis plusieurs semaines. Je me suis rendue à l'hôpital où l'on m'a soignée d'urgence. Au départ, j'étais si enflée qu'on croyait que j'étais enceinte.» Le diagnostic? Une pancréatite aiguë et des pierres à la vésicule biliaire. Direction: soins intensifs. Deux jours plus tard, alors qu'elle était alitée dans un couloir des urgences, elle a fait une embolie pulmonaire. On a inséré un dispositif parapluie dans une artère de son coeur et on lui a administré un anticoagulant.

Mme Gladu a été hospitalisée pendant un mois. Le pire a été évité de justesse. À l'hôpital, on lui a dit que la pilule contraceptive qu'elle utilisait pourrait être liée à tous ses maux. «J'aimerais qu'on la modifie ou qu'on la retire du marché. Je souhaite que les femmes soient en sécurité, et surtout informées», dit-elle.

Ina Ionescu a aussi connu des difficultés importantes pendant qu'elle utilisait Yasmin. La résidante de L'Île-Perrot, âgée de 25 ans, a souffert d'une thrombophlébite veineuse profonde. Les médecins ont dû l'opérer et elle est restée deux semaines à l'hôpital avant d'entreprendre un intensif traitement de physiothérapie.

«J'ai passé une batterie de tests à la recherche d'un facteur déclencheur. Ils se sont avérés négatifs, alors la pilule a été montrée du doigt», relate-t-elle.

Les deux Québécoises misent, pour obtenir justice, sur une demande de recours collectif introduite en 2010 en Ontario par la firme d'avocats Siskinds.

Deux produits de Bayer

La requête cible deux produits du géant pharmaceutique Bayer, Yasmin et Yaz, des contraceptifs oraux de quatrième génération utilisant la drospirénone comme progestatif.

L'avocat chargé du dossier, Matthew Baer, était au tribunal cette semaine pour tenter de faire accepter le recours. Une décision à ce sujet est attendue dans les prochains mois.

Il affirme que des «centaines de femmes» au Canada ont rempli les documents requis pour faire partie du processus.

Dans sa requête, la firme d'avocats soutient que Bayer a omis d'informer correctement médecins et patientes du fait que ces produits comportaient des risques sensiblement plus élevés que les contraceptifs oraux dits de seconde génération, qui utilisent un autre type de progestatif.

Le document relève que la société «savait ou aurait dû savoir» que ces risques accrus pouvaient mener à des complications «sévères et potentiellement fatidiques» comme des thromboses, des embolies pulmonaires ou des arrêts cardiaques.

Une porte-parole de Bayer, Marija Mandic, a indiqué à La Presse cette semaine que l'entreprise demeure pleinement convaincue de l'efficacité et du caractère sûr de ces deux produits.

La société pharmaceutique doit aussi composer avec de nombreuses poursuites civiles intentées aux États-Unis par des femmes disant que des caillots sanguins se sont formés après qu'elles eurent utilisé ces contraceptifs oraux. L'entreprise a annoncé l'été dernier qu'elle avait accepté de verser plus de 400 millions de dollars en réponse à près de 2000 plaintes.

Mme Mandic a déclaré hier qu'il existe des différences entre les systèmes judiciaires canadien et américain et qu'une comparaison directe des «processus légaux et des résultats n'était pas appropriée».

Avis de Santé Canada

Des contraceptifs oraux de la société sont aussi mis en cause en France, où le débat fait rage depuis le dépôt d'une plainte pénale par une jeune femme lourdement handicapée par un accident cardio-vasculaire.

Santé Canada a lancé un avis en décembre 2011 relativement à l'innocuité des contraceptifs oraux Yaz et Yasmin.

L'organisation a conclu alors que les contraceptifs avec drospirénone peuvent être associés à un risque de caillots sanguins de 1,5 à 3 fois plus élevé qu'avec des contraceptifs oraux de seconde génération. Le risque est augmenté à 1,5 à 3 sur 10 000 femmes par année au lieu de 1 sur 10 000 pour d'autres contraceptifs oraux. L'étiquette des produits de Bayer a dû être modifiée avec la mention de ce risque accru.

Cette semaine, Santé Canada a renvoyé La Presse à cet avis en réponse aux questions soulevées par le recours collectif et les polémiques en cours à l'étranger. L'organisation a parallèlement annoncé qu'elle allait passer en revue l'information accessible pour un autre médicament de Bayer, Diane 35, un produit contre l'acné qui sera bientôt retiré en France, où il est souvent utilisé comme contraceptif.

La présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec, Diane Lamarre, estime que les informations sur les risques accrus posés par les pilules contraceptives de dernière génération sont relativement récentes et doivent être portées à l'attention des femmes. «En nombres absolus, c'est très peu, mais quand ça arrive, les conséquences sont importantes, indique-t-elle. On doit cependant être conscient que les risques sont possibles avec tous les contraceptifs oraux et encore plus pendant la grossesse. Les femmes doivent connaître les facteurs qui prédisposent et être attentives aux signes et aux symptômes.»

«Maintenant qu'on a ces nouvelles données, on peut penser qu'on devrait privilégier les molécules qu'on connaît bien, qui présentent un risque légèrement diminué, et réserver les contraceptifs avec drospirénone aux femmes qui présenteraient trop d'inconfort avec les contraceptifs oraux de deuxième génération», souligne Mme Lamarre.

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Un risque «très faible», disent les gynécologues

Un comité d'experts mandaté par l'Institut national de la santé publique du Québec a analysé en 2011 les études publiées sur les contraceptifs avec drospirénone et y a trouvé des failles méthodologiques importantes. Ses membres ont conclu qu'il n'y a pas lieu, «dans l'état actuel des connaissances, de changer les pratiques cliniques en matière d'ordonnance de contraceptifs oraux».

«Le risque existe, mais il est très faible pour toutes les pilules, indique la Dre Francine Léger, membre du comité sur la contraception de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. Les allégations contre les contraceptifs avec drospirénone ne sont pas fondées sur des preuves scientifiques. On continue de les prescrire. On doit questionner les patientes sur les antécédents familiaux ou d'autres contre-indications.» Les événements surviennent généralement dans les premiers mois d'utilisation.

«Quand il y a des crises du genre, les femmes paniquent et cessent abruptement la pilule sans consulter leur médecin, déplore la Dre Léger. On observe alors que les grossesses non désirées et les interruptions volontaires de grossesse augmentent. Elles sont encore plus à risque. Ce n'est surtout pas ce qu'on souhaite.»

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Types de pilules

La plupart des contraceptifs oraux combinent un oestrogène de synthèse et un progestatif, hormone artificielle proche de la progestérone. C'est le type de progestatif utilisé qui définit la «génération» de la pilule. Celles de troisième génération peuvent contenir du désogestrel ou du norgestimate. Celles de quatrième génération peuvent utiliser de la chlormadinone ou encore, comme Yaz et Yasmin, de la drospirénone.

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Quelques chiffres

270 000 à 300 000 Nombre de femmes en Ontario qui se sont fait prescrire les produits Yaz ou Yasmin. Bayer s'est dit incapable de fournir des données pour le Canada dans son ensemble.

2 000 000 Nombre de prescriptions des produits Yaz et Yasmin au Canada en 2009, selon IMS Canada.

1,5 à 3 sur 10 000 Le risque, selon Santé Canada, de formation de caillots sanguins chez des femmes utilisant des contraceptifs oraux à base de drospirénone. Ce risque est considéré comme «très faible» par l'organisation sanitaire.

400 La somme, en millions de dollars, que la firme Bayer a versée aux États-Unis en date de l'été 2012 en réponse à des plaintes relatives aux contraceptifs oraux Yaz et Yasmin.

303 Nombre de rapports transmis à Santé Canada signalant des «effets indésirables» survenus en lien avec la pilule Yasmin, qui a été introduite au pays en 2004. Douze de ces rapports faisaient état de décès. Pour la pilule Yaz, introduite en 2008, 242 cas problématiques ont été signalés, dont 8 décès. L'organisation précise que ces rapports ne constituent pas une preuve du lien de causalité.